Corentin : Depuis le 23 mars et jusqu’au 15 septembre 2019, Paris accueille une grande exposition autour de Toutankhamon. 150 objets de son tombeau y sont exposés, dont de nombreux inédits. C’est l’une des 10 étapes internationales de cette exposition itinérante réalisée sous le patronage du gouvernement égyptien, après Los Angeles et avant Londres ou encore Sydney. Mais au fait, Thomas, c’était qui, Toutankhamon ?
Thomas : Bonjour Corentin ! Toutankhamon était un pharaon égyptien ayant régné pendant le nouvel empire…
Corentin : Alors attends… le nouvel empire… C’est à peu près entre 1500 et 1000 avant notre ère, c’est bien ça ?
Thomas : Tout à fait ! Toutankhamon a régné au début de cette période, pendant ce que la plupart des égyptologues appellent la 18e dynastie. Arrivé sur le trône à l’âge de 9 ans, il succède à la reine Néfernéferouaton. Il règne pendant 9 ans, jusqu’à sa mort, à l’âge de 18 ans.
Corentin : Ah oui, c’est un peu court, cette histoire. Alors pourquoi est-il si connu ? C’est parce qu’il a accompli des choses incroyables pendant sa jeune vie ?
Thomas : C’est plus compliqué que cela. De fait, on ne sait pas grand chose du règne de Toutankhamon.
Corentin : Ah bah super.
Thomas : Oui ben c’est pas ma faute si ses successeurs ont consciencieusement fait effacer son nom et détruire les monuments qu’il avait édifié pour retirer son nom de l’histoire. Car dans la religion égyptienne, on meurt deux fois. Une première fois physiquement, puis une deuxième fois lorsque la dernière personne à avoir prononcé notre nom meurt à son tour. En supprimant le nom de Toutankhamon des différentes inscriptions, ses successeurs lui interdisent donc la vie éternelle. Mais on va y revenir.
Donc, déjà, on ne sait pas grand chose parce que les textes mentionnant Toutankhamon ont été pour l’essentiel détruits. Ensuite, comme il est devenu pharaon à l’âge de 9 ans, on peut imaginer sans trop de problème que les affaires du pays étaient davantage entre les mains de ses conseillers.
Mais on sait une chose importante, quand même : à la base, il ne s’appelait pas Toutankhamon !
Corentin : … et ? Je veux dire, il se serait appelé Marcel, ça aurait pas changé grand chose, non ?
Thomas : Détrompe-toi, Corentin ! Rappelle-toi ce que je t’ai dit : le nom a une importance pour la survie de l’âme dans la religion égyptienne. Et à la base, il s’appelait Toutankhaton. Parce que son père biologique n’était autre qu’Akhenaton.
Corentin : Ah oui, je connais !
[01 - bad boys de marseille.wav]
Thomas : Ah ben évidemment. Donc avant d’être le nom de scène de Philippe Fragione, Akhenaton est un pharaon qui règne, lui aussi, pendant la 18e dynastie. Et si tu as lu Le Mystère de la Grande Pyramide, dans la série des Blake et Mortimer, ça doit te dire quelque chose :
[02 - blake mortimer.wav]
Alors voyons, si ma mémoire est bonne, vers 1370 avant JC, un nouveau pharaon monte sur le trône. Il s’appelle Amenophis IV. Il fonde rapidement une nouvelle religion monothéiste consacrée à Aton, le disque solaire, symbole de pureté et de lumière. Il prend alors le nom d’Akhenaton, ce qui signifie “esprit d’Aton”.
Bon, les propos du professeur Mortimer sont à nuancer. Akhenaton ne crée pas un monothéisme à proprement parler. Mais il cherche plutôt à rendre la religion plus métaphysique, en mettant le disque solaire Aton, plus abstrait que d’autres incarnations solaires du panthéon égyptien, au coeur du culte. Evidemment, ça ne plaît pas aux pouvoirs religieux préexistants, notamment les très influents prêtres d’Amon.
Après sa mort, Akhenaton a subi lui aussi un processus d’effacement de l’histoire, avec destruction de monuments et tout le tralala. Et son fiston, nommé Toutankhaton, a changé son nom pour Toutankhamon, histoire de rappeler qui est le vrai boss des divinités égyptiennes.
Corentin : AH ! Toutankh-ATON, Toutankh-AMON… TOUT FAIT SENS ! Mais malgré ce changement de nom qui montrait son alignement religieux avec les prêtres d’Amon, pourquoi est-ce qu’on a quand même essayé d’effacer Toutankhamon de l’histoire ?
Thomas : Eh ben déjà parce que ses successeurs sont potentiellement des usurpateurs, qui ont donc cherché à se légitimer en rabaissant le pharaon qui les a précédé, en l’occurrence ici le pauvre Toutankhamon. Et aussi parce que, eh, on est jamais trop prudent. Le type s’est quand même appelé Toutankhaton. Les prêtres d’Amon n’ont pas voulu prendre de risque.
Corentin : Oui ben faut croire que l’opération a un poil raté, vu que c’est peut-être le pharaon le plus connu aujourd’hui.
Thomas : Je ne te le fais pas dire !
Corentin : Mais dans ce cas, comment ça se fait !?
Thomas : Eh bien tout d’abord parce que le tombeau de Toutankhamon est le seul à avoir été découvert intact. C’est pour ça que l’on a encore le magnifique masque funéraire en or massif et une multitude de pièces de mobilier en parfait état. Et là, on peut remercier ceux qui ont cherché à l’effacer de l’histoire, parce que c’est ce qui a préservé la sépulture des pillards à travers le temps.
Corentin : Oui, j’imagine que si tu ne sais pas que quelque chose existe, tu ne vas pas chercher à le retrouver.
Thomas : C’est l’idée. Et d’ailleurs, Howard Carter, l’égyptologue qui fait la découverte du tombeau en 1922, a failli passer à côté. S’aidant de sources fragmentaires, il ne doit son salut que grâce à Hussein Abdu el-Rasoul, un jeune égyptien, porteur d’eau sur l’un des sites d’excavation, qui dégage la première marche d’accès à la tombe par inadvertance. Donc voilà : un trésor égyptien fabuleux quasiment intact, c’est la première raison de ce succès.
Une autre raison, c’est la malédiction associée à la sépulture.
Corentin : Ah, oui, j’en ai entendu parler de ça. Ca a d’ailleurs inspiré les scénarios de plusieurs Tintin, Les Cigares du Pharaon et les Sept Boules de Cristal.
Thomas : Je vois qu’on connaît ses classiques ! Sauf que cette histoire de malédiction est une fake news inventée par les médias de l’époque qui voulaient surfer sur la vague Toutankhamon un peu plus longtemps. Ils ont donc inventé une malédiction multimillénaire pour associer la découverte - et donc le sacrilège - du tombeau à des événements fâcheux, le plus connu étant la mort de Lord Carnarvon, le promoteur de l’expédition d’Howard Carter, peu de temps après la découverte. Mais de fait, les textes égyptiens ne font pas mention de pareilles malédictions.
Enfin, Toutankhamon fascine parce que le trésor de son tombeau rend concret une civilisation qui fascine depuis des siècles mais dont le grand public sait finalement peu de choses.
Corentin : Ah bah quand même, y’a les pharaons, Cléopâtre, Ramsès II, les pyramides, les divinités, les hiéroglyphes, le grand Sphinx, la lumière du phare d’Alexandrie qui fait naufrager les papillons de ma jeunesse… On sait des choses, quand même !
Thomas : Oui, mais saurais-tu les replacer sur une frise chronologique ? L’Egypte ancienne, c’est quelque chose qui dure pendant au moins 3000 ans ! C’est énorme ! Le mode de vie sous les premiers pharaons n’a rien à voir avec celui sous Cléopâtre VII, la Cléopâtre la plus connue, que l’on considère comme la dernière pharaon (même si les empereurs romains se sont accordés ce titre jusqu’au IVe siècle).
L’Egypte ancienne est lointaine et renvoie à un exotisme confus, entre désert et Nil nourricier. Mais elle est également proche, parce que c’est une civilisation de l’écriture, et que des ponts avec des civilisations (notamment dans le bassin méditerranéen) que nous connaissons mieux existent.
Ca explique par exemple la fontaine du palmier, ornée de sphinx, érigée sous Napoléon, qui décore la place du Châtelet à Paris. Ca explique également pourquoi les différentes expositions internationales itinérantes du trésor de Toutankhamon attirent un nombre considérable de visiteurs, depuis les années 1960. Et en 1978, ça a inspiré une petite chanson au comédien Steve Martin, à l’occasion d’un sketch pour l’émission Saturday Night Live :
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La fascination pour Toutankhamon est plus vive que jamais. Cette dernière tournée internationale est l’occasion où jamais de voir des pièces inédites au grand public du trésor, à l’occasion du centenaire de la découverte du tombeau, avant qu’il ne rejoigne pour toujours le futur Grand Musée Egyptien au Caire, dont l’ouverture est prévue en 2020.
Corentin : Bon, à défaut d’en savoir plus sur le règne de Toutankhamon, on y voit un peu plus clair sur la fascination qu’exerce toujours ce pharaon sur nous. On rappelle que l’exposition Toutankhamon se tient jusqu’au 15 septembre, et qu’il vaut mieux réserver ses places en ligne, le nombre de visiteurs autorisés étant limité. Merci Thomas, et à bientôt !
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