Corentin : La fin de l’année, c’est le moment idéal pour faire le point sur les 12 mois qui viennent de s’écouler. On fait le bilan, calmement, en se remémorant chaque instant. Mais encore faut-il pouvoir les mesurer, ces 12 mois qui viennent de s’écouler ! Tu nous avais déjà parlé de la création du calendrier que nous utilisons dans une chronique sur l’histoire du mois d’août, Thomas. Et aujourd’hui, tu reviens sur l’histoire… du temps ?
Thomas : Bonjour Corentin. Alors, c’est pas tout à fait d’histoire du temps que je vais parler. Ca, c’est davantage du domaine de la physique. A mon petit niveau, il est impossible de rivaliser avec Stephen Hawkins et son ouvrage Une brève histoire du temps, vulgarisant des concepts qui personnellement me dépassent un peu. Non, aujourd’hui, c’est plutôt d’une histoire de la mesure du temps dont je vais parler.
Corentin : Très bien. Du coup, à partir de quel moment est-ce qu’on calcule les années, les mois, les jours, les heures, les minutes et les secondes ? On veut des réponses !
Thomas : Beaucoup de questions, calmos mon ami ! Bon, pour commencer, tu t’en doutes, les premiers signes observés du passage du temps sont le jour et la nuit, ainsi que les saisons. Les hommes et femmes préhistoriques mesurent le temps de façon naturelle. On vit au rythme du soleil et de la météo, avec des saisons chaudes et des saisons froides. En conséquence de quoi on vit également au rythme d’autres phénomènes naturels liés, comme les migrations d’animaux, dont dépendent les communautés de chasseurs-cueilleurs, ou encore des crues.
On pense qu’il y a 30 000 ans, l’être humain commence à comprendre les différents cycles de la lune. A partir de là, nous allons pouvoir commencer à calculer le temps de façon plus complexe.
Corentin : Oui, parce que j’imagine que nos ancêtres, non distraits par des choses comme Smash ou le dernier trailer d’Avengers Endgame, avaient du temps pour observer le monde qui les entoure.
Thomas : Tu ne crois pas si bien dire. L’observation des phases de la lune, mais aussi du soleil et des étoiles, permet l’établissement des premiers calendriers. On pense donc que les concepts de mois et d’année émergent il y a environ 10 000 ans. Le calendrier va longtemps rester l’outil privilégié pour calculer le temps qui passe.
Mais à mesure que les sociétés vont se complexifier, on va avoir besoin d’être toujours plus précis. On va organiser la journée en différentes périodes, plus fines que le simple changement entre le jour et la nuit. Et pour suivre ce bazar, on va inventer différents outils. Le plus connu est le cadran solaire, qui calcule l’heure en fonction de la position du soleil dans le ciel. Mais d’autres éléments ont été utilisés : le sablier, la bougie, et même l’eau, comme l’explique la petite voix dans un épisode de C’est pas sorcier :
[01 - c’est pas sorcier.mp3]
Tiens, l’eau. Eh bien ça donne l’heure aussi. Allez, petite devinette. Sachant que le cylindre est rempli d’eau et qu’à sa base un robinet goutte régulièrement, et que plus le niveau de l’eau baisse, plus le temps passe, avec quelle précision la pendule va donner l’heure ? Au fait, ça s’appelle une clepsydre. A la quatrième goutte, il sera exactement… ben alors, vous séchez ? Eh bien elle ne donne l’heure qu’à l’heure près.
Corentin : Eh dis donc Thomas, pourquoi est-ce que l’évolution des sociétés entraîne ces changements dans la mesure du temps ?
Thomas : Eh bien parce que l’heure de la journée - on ne parle pas encore vraiment de minutes - est importante pour organiser ses affaires, le travail quoi, ainsi que les activités religieuses. Ca devient de plus en plus vrai avec l’émergence des monothéismes dans le pourtour méditerranéen.
Dans le monde musulman, l’appel à la prière cinq fois par jour rythme la journée. Or, il est nécessaire de connaître l’heure précisément pour que le muezzin puisse lancer cet appel. Dans le monde chrétien, le son de la cloche rythme la journée toute les heures. Initialement installé dans les monastères et les couvents pour permettre aux moines et aux bonnes soeurs de prier lors des sept heures canoniales de la journée, les horloges gagnent les églises à partir de la moitié du Moyen ge européen. Pendant très longtemps, ces horloges et les cloches qui leur sont associées sont le moyen de mesure du temps le plus accessible au plus grand nombre.
Corentin : OK, donc les heures sont largement utilisées dès la fin de l’Antiquité. Mais à quel moment s’est-on dit : “Tiens, et si on découpait ça en 60 tranches et on appellerait ça des minutes” ?
Thomas : Fondamentalement, la notion de minute - et même de seconde - existe depuis plus de 4000 ans. La base de calcul 60 - dont on a tiré les minutes et les secondes - est en vigueur en Mésopotamie à cette époque. Cependant, comme il a longtemps été très compliqué de les mesurer précisément, l’être humain les a laissé de côté en faveur des heures.
Il faut donc attendre différentes avancées scientifiques pour que la minute devienne une nécessité. La première de ces avancées, c’est l’invention de l’horloge mécanique avancée au XVe siècle. Au départ, ces pendules n’affichent que les heures, puisqu’elles sont calquées sur les horloges d’église. Mais au fil du temps, avec l’affinement des engrenages et le gain de précision des mouvements de balancier nécessaires à l’activation des mécanismes, on a pu afficher les minutes.
L’autre phénomène qui pousse à la précision, c’est la navigation. A une époque où la navigation satellite n’est au mieux que le rêve fiévreux d’un timonier en plein delirium tremens, les deux seuls moyens de se repérer au milieu de l’océan sont les astres et le temps. En fonction de la position du soleil à midi, on peut calculer la latitude du point où l’on se trouve. Mais pour calculer la longitude, on a besoin de connaître précisément l’heure qu’il est, compte tenu de la vitesse de rotation de la terre sur elle-même qui est de…
Corentin : Attends, si je me souviens bien, elle est d’environ 465 mètres par seconde à l’Equateur, soit une rotation complète en… 86 164 secondes, je crois.
Thomas : Voilà. Le chronomètre de marine, inventé pour la première fois en Angleterre au début du XVIIIe siècle, cherche donc à reproduire avec le plus de précision possible ces 86 000 secondes et quelques. En connaissant l’heure qu’il est précisément à un point donné, par exemple au niveau du méridien de Greenwich, alors que le midi solaire frappe l’endroit où l’on se trouve, en fonction de l’heure indiquée, on peut évaluer l’angle de rotation de la terre par rapport à ce point de repère relatif.
Corentin : J’ai rien compris.
Thomas : Bon, plus simplement, ça veut dire que les navigateurs embarquaient avec un chronomètre très précis, calé sur l’heure solaire de Greenwich. Quand ils voulaient connaître la distance qui les séparaient de Greenwich, en pleine mer, ils n’avaient qu’à attendre le midi solaire là où ils se trouvaient, regarder l’heure qu’il est à Greenwich, et ensuite faire un peu de trigonométrie, le soleil bougeant de 15° vers l’ouest d’heure en heure. Ainsi, ils pouvaient établir la longitude. Et pour que le résultat soit sûr, il fallait des chronomètres de marine très précis, à la seconde près si possible. Des erreurs de quelques minutes signifiaient un positionnement décalé de plusieurs centaines de kilomètres.
Corentin : OK, j’y vois un peu plus clair. Mais quand même, c’est un usage très spécifique, non, pour les secondes ? A quel moment est-ce que ça a dépassé les simples frontières marines ?
Thomas : A partir de la révolution industrielle. Jusqu’ici, le travail aux champs était conditionné par la lumière du jour. Dans les usines, cette contrainte naturelle disparaît. La mise en place de chaînes de travail en continu, dans des espaces clos comme les mines ou les usines, nécessite un autre suivi du temps. En outre, ça permet aux employeurs de mesurer l’efficacité des travailleurs. On va mettre en place des systèmes de pointage. La journée se standardise et n’est plus conditionnée par la course du soleil.
La démocratisation de la seconde est une conséquence de la révolution industrielle. Elle vient avec le culte de la performance, notamment dans le sport - qui émerge à la fin du XIXe siècle. D’abord unité scientifique, pour la marine comme pour la physique, la seconde devient une unité pour mesurer la vitesse.
Aujourd’hui, les horloges atomiques sont d’une précision telle qu’on estime qu’elles ne se décalent d’une seconde que tous les 3 millions d’années.
Corentin : Ah oui, quand même. Ca doit être pratique pour calculer le temps de cuisson d’un oeuf à la coque. Dans tous les cas, merci de nous avoir éclairé davantage sur le calcul et la perception du temps, qui a évolué à travers les siècles, et à bientôt, Thomas.
Thomas : A bientôt !
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