Corentin : La crise migratoire continue de représenter une véritable impasse de gouvernance en Europe. Les affaires comme celles de l’Aquarius se multiplient et les déclarations contradictoires fusent des 4 coins du vieux continent. Pourquoi l’UE n’arrive-t-elle donc pas à se mettre d’accord ? Audrey Travère nous explique ça, avec pour commencer, un résumé des épisodes précédents.
A : Pour comprendre, il faut revenir en 2015. L’Europe fait alors face à la plus grosse crise migratoire de son histoire. Plus d’1 million de personnes tentent de traverser la méditerranée au péril de leur vie. Ils fuient pour beaucoup la Syrie, d’autres viennent d’Afrique Subsaharienne. 800 000 d’entre eux débarquent sur les côtes grecques. plus de 100 000 autres arrivent en Italie.
Le déclic pour l’Europe se passe en avril de cette année là … avec Le naufrage de 7 00 migrants au large de la sicile …
[FR2Migrants-25s tapis]
Cette tragédie pousse les dirigeants européens à se réunir lors d’un sommet extraordinaire. Bruxelles décide alors de doubler les moyens de surveillance en méditerranée. Mais surtout, l’Europe acte la répartition de 5 000 réfugiés syrien sur le vieux continent.
C : Pour pallier cette crise que personne n’a vu venir, l’Europe envisage alors la création des fameux hot spots. Des centres de contrôles délocalisées au sein de l’Europe ou en dehors et qui est au coeur de toutes les politiques européennes depuis.
A : Ces postes de contrôles, installés dans les pays d’arrivée des migrants, doivent permettre de faciliter l’identification des individus. Ils sont ensuite répartis entre les pays membres de l’UE.
La France par exemple, s’engage alors à accueillir près de 6000 personnes, venant de Grèce et d’Italie.
Et c’est à ce moment précis que naissent les premières dissension au sein de l’Union. Deux blocs viennent à s’affronter.
D’un côté, La Pologne, la Slovaquie et la Hongrie, qui refusent leur part de migrants ...Et cela malgré leur obligations légales. De l’autre, le reste des pays européens qui n’arrivent pas à imposer leur position.
C : Et même si les institutions européennes tranchent le plus souvent en faveur de l’accueil, ces décisions sont en réalité très peu appliquées.
A : Eh oui. La commission a beau donner des quotas, il n’y a que très peu de pays qui les respectent.
La relocalisation est d’ailleurs peu efficace, puisque certains pays rechignent à coopérer. Lors d’un bilan l’an dernier, aucun des États membres n’a atteint son objectif. La plupart sont même bien en dessous des prévisions de la Commission européenne. Seuls la Finlande, la Lettonie, le Luxembourg et l’Irlande ont atteint plus de 50% des prévisions.
La Hongrie et la Pologne n’ont, eux, pas relocalisé un seul demandeur d’asile depuis 2015. Et sur un objectif total de 2 600 migrants, la République tchèque n’en a accueilli … que 12
C : Un an plus tard, en 2016, la commission lance alors le mécanisme d’aide d’urgence … un tournant dans la politique extérieure de l’UE
A : Doté d’un budget de 300 millions d’euros pour l’année, il vise à aider les États membres ayant des difficultés à faire face à ces situations d’urgence.
Mais c’est surtout l’année où les dirigeants européens décident de s’allier avec des pays extérieurs. Notamment la Turquie, dans un accord vivement critiquée.
En échange de 3 milliards d’euros, Ankara devient le garde frontière officiel de l’Europe.
[AccordTurquie]
Et sans surprise, le dispositif marche. Après signature, le nombre de traversée de la mer égée passe de 800 000 en 2015 … à 30 000 l’année suivante.
C : Travailler avec des pays tiers devient une solution pérenne pour l’union européenne puisque l’année suivante, en 2017, un nouveau partenaire va être choisi.
A : Car dans le même temps, d’autres flux arrivent de l’autre côté de la méditerranée, entre l’Afrique et l’Italie. Alors pour venir en aide à Rome, qui peine à gérer les arrivées, c’est à la Libye que l’union va faire appel.
Lors d’un nouveau, la commission annonce le financement des formations des gardes côtes libyens. Le but : faire en sorte que la libye se charge de retenir les migrants qui souhaitent faire la traversée vers l’Europe.
Au total, ce sont 136 millions d’euros qui sont alloués au gouvernement d’entente national libyen. Une somme qui doit rendre autonome la Libye dans sa gestion des migrants ... à l’image de la Turquie.
C : Tout comme l’accord signé avec Ankara, Cette décision est alors vivement critiquée par les ONG opérant en méditerranée mais aussi par l’ONU.
A : La libye a certes un gouvernement d’entente nationale … mais le pays est loin d’être stabilisé.
Depuis la chute de Kadhafi en 2011, des milices privée se partagent toujours le territoire. Et au milieu d’un pays naturellement morcelé, le pouvoir central a du mal à s’imposer.
À cela s’ajoutent les découvertes de l’an passé : en traversant le pays, les migrants prennent le risque d’endurer les pires sévices ... allant de l’emprisonnement aux viols et à l’esclavage.
La libye ne remplit donc pas les conditions de ce qu’on appelle “un port sûr” pour les débarquements de migrants. Ce qui rend parfaitement illégal leur renvoi en Libye aux yeux du droit international maritime.
C : Pourtant c’est ce que souhaitait début septembre Matteo Salvini, ministre de l’intérieur italien, non ?
A : C’est effectivement le discours porté par la ligue du nord en Italie ... et tous les gouvernement nationalistes à travers l’Europe... Et c’est bien tout le problème.
les solutions trouvées pour le moment sont soit douteuses d’un point de vue éthique. Soit pas encore définie. 2 ans après le début de la crise, il n’existe toujours pas de procédure établie lorsqu’un bateau de migrants est sauvé en méditerranée. A ce sujet, j’ai interrogé Pierre Henry, le directeur général de France Terre d’Asile. Depuis 1971, l’association vient en aide aux demandeurs d’asile en France … et se retrouve donc en tête de file sur ces questions. Et pour lui, se reposer des pays tiers comme la Libye n’est pas une stratégie viable pour l’Europe
[Son1 - à partir de 25s]
Stratégie inefficace pour l’Europe, mais aussi dangereuse pour les migrants. En témoigne les nombreuses errances à répétition des navires humanitaires, comme l’Aquarius. À de multiples reprises, ces bateaux ont peiné pendant plusieurs jours à trouver un port qui accepte de les recevoir … malgré des personnes souvent fragiles à leurs bord.
C : Et cette inaction laisse alors un boulevard pour les dirigeants les plus vocaux en Europe
A : Il faut avouer qu’en matière de politique migratoire, on entend plus Matteo Salvini qu’Emmanuel Macron. Faute de vision claire de la part de Bruxelles, le risque est que le ministre italien donne le ton et la direction des politiques futures de l’UE.
Lors d’un sommet informel mi-juillet, c’est toujours l’Italie et l’Autriche qui ont fait le plus de bruit. Matteo Salvini a par exemple fait savoir qu’il ne serait plus autorisé de débarquer des migrants dans son pays. Du côté autrichien, on propose carrément qu’il soit impossible de demander l’asile sur le sol européen.
Et face à cette alliance, peu de voix s’élèvent. Emmanuel Macron, accepte -certes- le “mauvais rôle” - entre guillemets - que lui attribuent Salvini ainsi que Viktor Orban en Hongrie … Mais en dehors des discours, le président de la République n’est pas spécialement actif. En témoigne le refus d’accueillir les 58 migrants à bord de l’Aquarius … malgré les demandes répétées d’SOS méditerranée.
Le 19 septembre dernier, s’est tenu un énième sommet en Autriche, pour tenter de trouver une solution. Sans surprise, Il n’a fait que confirmer les différences de discours. Mais aussi confirmé, paradoxalement, que l’Italie mène la danse, sans véritable opposition directe. Une “salvinisation de l’Europe”, comme le souligne -dans ses mots- Pierre Henry de France Terre d’Asile … qu’il faudrait déjouer selon lui
[Son2 - 20 à 40s]
C : Et le débat est loin d’être terminé. À l’approche des élections Européenne, il y a fort à parier que la question de l’immigration sera au centre des discussions. Merci Audrey pour nous avoir résumé la question migratoire en Europe, et à très vite.
Face à la crise migratoire, c’est la désunion européenne
L’Union européenne continue de faire face tant bien que mal à la crise migratoire. Pourtant, la seule politique vaguement commune qui ait été mise en place depuis plusieurs années reste les accords avec des pays tiers, comme la Turquie ou la Libye. Avec Audrey Travère, essayons de comprendre les différents courants d’opinion au sein de l’Union et pourquoi il semble toujours aussi compliqué de se mettre d’accord sur ce sujet critique.
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