C : ames sensibles s’abstenir, aujourd’hui Élodie Carcolse nous transporte dans l’univers impitoyable de la Silicon Valley. En effet, les créateurs d’Instagram viennent tout juste de quitter le navire, six ans après leur rachat par Facebook. Mark Zuckerberg n’y serait d’ailleurs pas étranger. Salut Élodie !
E : Salut Corentin ! Eh oui, tous les regards se tournent vers le jeune milliardaire, après le départ soudain de Kevin Systrom et Mike Krieger, les deux fondateurs d’Instagram. Le 24 septembre dernier, ces trentenaires, jusqu’ici directeur général et directeur de la technologie de la fameuse plateforme, quittent le navire sans donner plus d’explication. Si ce n’est les déclarations d’usage. Je cite : « Mike et moi sommes reconnaissants de nos huit années chez Instagram, et les six années passées avec Facebook. » D’une même voix, les deux hommes disent désormais vouloir « explorer leur créativité et leur curiosité ».
C : Oui, rien de très original jusque là...
E: Pas plus d’originalité du côté du big boss de la maison mère Facebook. Dans un communiqué, Mark Zuckerberg leur souhaite : « Bonne chance » et se réjouit déjà de suivre “l’évolution de leur prochaine oeuvre”. Bon, voilà pour l’échange d’amabilités. Selon Bloomberg toutefois, ce départ serait dû à des conflits persistants avec Zuckerberg.
C : On peut s’étonner de ce départ surprise alors que tout avait pourtant si bien commencé...
E : En effet. En 2012, Instagram fête sa deuxième année lorsque le géant Facebook s’offre, un peu à la surprise générale, cette « l’application de retouche photo », comme la décrit alors Le Nouvel Obs. Elle n’est pas vraiment plus à l’époque, mais est suffisamment prometteuse pour voir Facebook poser tout de même un milliard de dollars sur la table. Faisant du même coup la fortune de ses fondateurs. Huit ans plus tard, Instagram est devenue la pépite maison. Depuis juin dernier, la plateforme revendique un milliard d’utilisateurs actifs mensuels à travers le monde. Elle est plébiscitée aussi bien par les influenceurs, les célébrités ou les marques. Les jeunes en raffolent alors qu’ils fuient Facebook devenu à leurs yeux, un réseau social “de vieux” ! Ça fait, toujours plaisir...
C : Mais tout va bien dans le meilleur des mondes alors ?
[Extrait 1
https://youtu.be/DDRXFtXN8zY?t=1s >> 0’14
E : On pourrait le croire, mais la Silicon Valley, ce n’est pas le pays de Candy. Durant toutes ces années, boostée aux hormones Facebook, Instagram s’est considérablement développé en s’appuyant sur les ressources financières et technologiques phénoménales du groupe. Si la plateforme était fermement arrimée à la maison mère, les deux fondateurs ont néanmoins bénéficié d’une certaine autonomie, promise lors du rachat, que ce soit en termes d’expérience utilisateur ou de monétisation.
C : Tout cela a un prix, je suppose ?
E : Le contraire eut été étonnant : le fondateur de Facebook traîne une réputation de control freak. En mai dernier, il parachute Chris Cox, chef produit de Facebook et accessoirement fidèle parmi les fidèles, à la tête d’une nouvelle division englobant Facebook, Messenger, WhatsApp et Instagram. L’indépendance chère aux 2 fondateurs en prend un coup.
Selon la presse américaine, ces bouleversements auraient généré des tensions, jusqu’à précipiter l’annonce de leur démission. De son côté, Re/Code évoque des « frustrations » et de l’« agitation » concernant l’évolution de l’application et les passerelles de plus en plus étroites opérées entre les deux plateformes. Une sorte d’« ingérence bizarre » dira l’un d’eux : Instagram est à la fois le navire amiral du groupe et une application à part entière qu’il faut diluer dans la galaxie Facebook.
C : Hum, cette histoire a comme un air de “déjà vu” il me semble ?
E : C’est peu de le dire Corentin. Les fondateurs de WhatsApp, Jan Koum et Brian Acton, ont vécu un scénario similaire. Lorsque Facebook rachète Whatsapp en 2014 pour la bagatelle de 19 milliards de dollars tout de même, la plateforme a la réputation d’être sécurisée et sans publicités. L’application de messagerie chiffrée peut ainsi assurer, main sur le coeur, que rien ne changera. Mais Facebook fait une grosse entorse au contrat en août 2016 avec le changement des conditions d’utilisation de Whatsapp. Facebook fait main basse sur les données personnelles des utilisateurs de la plateforme.
C : Précisons qu’à son rachat, Facebook avait prétendu ne pas être intéressée par les données personnelles de l’application. Un mensonge qui lui vaudra d’ailleurs une amende de 110 millions d’euros de la Commission européenne.
E : Exactement. Ce mensonge préfigurait d’ailleurs le second, avec la monétisation de la plateforme et l’arrivée de la publicité annoncées un an plus tard. Quelques jours après, en septembre 2017, Brian Acton claque la porte de Facebook. La semaine dernière, il est revenu sur les raisons de son départ dans les colonnes de Forbes. S’il s’est rempli les poches grâce à Facebook, il dit regretter d’avoir “vendu son entreprise” et “la vie privée des utilisateurs en échange d’un bénéfice plus important”. Il concède avoir fait un “choix et un compromis” et “vivre avec cela tous les jours".
Jan Koum a quitté le navire en mai 2018, deux mois après le début du retentissant scandale Cambridge Analytica. En cause, une nouvelle fois, des désaccords avec Mark Zuckerberg au sujet de la confidentialité des données personnelles. Sujet Ô combien sensible pour Facebook.
C : Celui-ci tout comme les fake news, la désinformation, les dissonances en interne autour de la stratégie du groupe ou les anciens salariés qui accusent la plateforme de détruire le lien social…
E : Oui, ça vous donne une petite idée de l’ambiance qui règne chez Facebook en ce moment. 2018, c’est annus horribilis pour la plateforme : le scandale Cambridge Analytica a conduit Zuckerberg (et son enveloppe corporelle) à témoigner devant le Congrès américain au cours d’une audience en forme de mea culpa, ajoutez à cela un festival de polémiques concernant l’accès litigieux aux données personnelles des utilisateurs et enfin, cerise sur le cupcake, la faille et le piratage dont a été victime Facebook début octobre exposant au moins 50 millions de comptes...
[Extrait 2
https://youtu.be/-GVVnI0F0MI?t=1m12s >> 1’17 ou 1’25
C : Mais alors, pourquoi Mark Zuckerberg est-il si méchant ?
E : J’aimerais vous répondre simplement, parce que. Mais ce serait trop simple. Finalement, la meilleure réponse, c’est peut-être Brian Acton qui la donne. Pour lui, “[Facebook] n’est pas le méchant. […] Ce sont des businessmen, ce sont de très bons businessmen. Ils représentent juste un ensemble de pratiques, de principes, d’éthiques et de politiques avec lesquelles je ne suis pas nécessairement d’accord”. Fin de citation.
C : Oui, et contrairement à Instagram, WhatsApp peine à devenir rentable malgré ses 1,5 milliard d’utilisateurs.
E : Et si Mark Zuckerberg est philanthrope à titre personnel, Facebook reste une entreprise dont le modèle économique repose sur la revente de profils publicitaires à des annonceurs. Un business model résumé ainsi en 2012 par les des co-fondateurs de WhatsApp eux-mêmes : “Gardez en tête que lorsqu’il y a de la publicité, vous, l’utilisateur, êtes le produit”.
C : Ce n’est pas très rassurant… Mais au moins, les prochains sur la liste d’achat de Facebook ne pourront pas dire qu’ils n’étaient pas prévenus ! La question sera de savoir à quel prix ils souhaitent être vendus. Merci Élodie et à la prochaine !
Départ d’Instagram et de WhatsApp : pourquoi Facebook perd tous ses amis ?
Décidément, ils partent tous les uns après les autres ! Après les fondateurs de WhatsApp, ce sont ceux d’Instagram qui décident de quitter le navire Facebook. Entre tensions en interne, ingérence du réseau et désaccords de fond, on essaye de comprendre cette fuite des cerveaux avec Élodie Carcolse !
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