Corentin : Le 23 mai, Elon Musk a lancé quelques tweets incisifs à destination des journalistes. Il a notamment proposé de créer un site qui permettrait de noter ces derniers ainsi que les articles qu’ils écrivent. Xavier Eutrope d’Ina Global va essayer de nous expliquer ce qui s’est passé. Bonjour Xavier !
Xavier : Bonjour Corentin, bonjour à toutes et à tous. Vous connaissez peut-être Elon Musk. Ou peut-être pas. Quoiqu’il arrive je vais vous rafraîchir la mémoire parce que c’est mon boulot. Elon Musk est un entrepreneur américain qui a notamment participé à la création de Paypal en 2001. Outre l’exploration spatiale, l’électricité solaire, l’intelligence artificielle ou les systèmes de transports innovants, Elon Musk a surtout investi beaucoup d’argent dans le constructeur automobile Tesla, dont il est le patron. Tesla, vous savez, ce sont ces voitures électriques qui sont particulièrement à la mode. Il présente sa société comme un constructeur automobile indépendant et son plan est assez simple : proposer des voitures électriques à des prix abordables pour le consommateur moyen.
C : Xavier, viens-en au fait, explique-nous ce qu’il a dit des merdias et des journalopes !
X : Calmez-vous mon vieux, j’y viens ! Pour bien comprendre ce qui s’est passé, il faut avoir deux choses en tête : premièrement, Elon Musk est très très actif sur Twitter, surtout si on prend en compte le fait qu’il est un P-DG qui doit gérer plusieurs entreprises. L’autre élément à prendre en considération, c’est qu’il n’aime pas particulièrement les journalistes.
C : ah bon ? C’est à dire ?
X : En fait, il trouve qu’ils ne font pas assez bien leur travail. Récemment, il y a eu quelques incidents. Ainsi le 21 mai, dans une réponse qu’il a faite à l’un de ses followers, Elon Musk qualifie un article qui abordait les problèmes de sécurité dans les usines Tesla de « propagande ».
C : Propagande, carrément.
Oui ! Et une semaine avant, Elon Musk s’en était pris à un autre article, cette fois du Washington Post qui revenait sur l’accident d’un modèle de Tesla autonome. Le conducteur passager du véhicule s’en était sorti avec une cheville cassée. Enervé, le P-DG expliquait ne pas comprendre pourquoi cet évènement faisait la une alors que les morts sur la route aux US ne sont, selon lui, quasiment pas traités.
[Elon Musk Stresse]
On vient d’entendre l’extrait d’un reportage diffusé le 13 avril sur la chaîne américain CBS dans lequel Elon Musk explique être plutôt stressé, notamment à cause de la relation compliquée avec les investisseurs et les analystes. Dans notre affaire, c’est le 23 mai que tout se joue : Elon Musk publie le tweet suivant, tu peux me le lire Corentin ?
C : « L’hypocrisie moralisatrice des grandes entreprises médiatiques qui prétendent à la vérité, mais publient juste suffisamment pour édulcorer des mensonges, est la raison pour laquelle le public ne les respecte plus. ».
Dans ce tweet un lien menant vers un article qui explique la négativité médiatique autour de Tesla affectait le cours en bourse de la société. Il est alors 20h25…. Moins d’une heure plus tard, Elon Musk tweete de nouveau. Le monde retient son souffle. Roulement de tambours.
C : « Je vais créer un site où le public pourra noter le niveau de vérité de tout article et suivre le score de crédibilité au fil du temps de chaque journaliste, rédacteur et publication. Je songe à l’appeler Pravda… »
X : Et là, tous les journalistes sont éclaboussés, tout le monde devient fou, les femmes et les enfants d’abord. Plus sérieusement, on comprend où veut en venir Elon Musk : les journalistes diraient n’importe quoi, il faudrait les contrôler, les soumettre à une observation populaire et rigoureuse. Et pour la petite histoire, Pravda veut dire “vérité” en russe. C’était aussi le nom de la publication officielle du parti communiste dans l’Union soviétique durant le 20e siècle.
Mais revenons à nos moutons. Dans un autre tweet envoyé quelques minutes plus tard, Elon Musk déclare :
C : « Le problème, c’est que les journalistes sont constamment sous pression pour obtenir un maximum de clics et récupérer l’argent de la pub…. Sinon ils se font virer. »
Bref, on pourrait y voir une critique des conditions de travail des journalistes.
C : Et alors ? Est-ce que c’est le cas ?
X : Non, pas vraiment, car ensuite Musk écrit et promis Corentin, c’est la dernière fois que je te mets ainsi à contribution :
C : “Tesla ne fait pas de pub, alors que les compagnies productrices de pétroles, de carburant et de diesel font parties des plus gros annonceurs du monde”.
X : En fait, on se rend compte que plus ça va, et plus Musk évoque un complot médiatique.
Bref. Il est compliqué de déterminer si cette histoire de plateforme de notation n’est que du troll ou s’il s’agit de quelque chose qu’il envisage de faire sérieusement.
C : Mais attends Xavier, ton histoire d’éthique des journalistes, là, ça me rappelle quelque chose…. Je l’ai sur le bout de la langue….
X : Est-ce que tu penses au Gamergate ?
C : AH OUI VOILA C’EST CA.
X : Eh bien, bravo, tu remportes l’encyclopédie universalis en 150 volumes ainsi qu’une bouteille d’eau gazeuse. Pour faire simple, le GamerGate est un mouvement apparu sur les internets en 2014. Il était violemment antiféministe, misogyne et a harcelé de nombreuses figures féminines du jeu vidéo sous couvert de vouloir produire une critique de l’éthique des journalistes. Des personnes qui se réclamaient de ce mouvement ont même créé le site DeepFreeze, qui se présente comme une ressource de référence sur le journalisme permettant aux lecteurs de savoir si tel journaliste ou média est fiable ou non.
C : un peu comme une instance de validation officielle, en fait.
Absolument, et elle déterminerait qui pourrait recevoir les bons et les mauvais points du GamerGate. La catchphrase du site dit « your trust should be earned », votre confiance doit être gagnée, en Anglais. Le site dit si le journaliste ou le média doit être soutenu ou boycotté par le Gamergate, ou s’il est neutre vis-à-vis de lui.
C : Mais il a des choses de ce genre qui existe et qui sont faites par des médias de confiance, non, comme le Décodex ?
X : Alors oui, c’est intéressant que tu en parles. Le décodex est un outil développé par la rubrique des décodeurs du Monde lancé le premier février 2017. Il se présente comme une aide permettant aux lecteurs de s’orienter sur le web, entre rumeurs et fausses informations. Il y a une extension pour les navigateurs web, un moteur de recherche dans lequel on peut entrer l’url d’un article dont on souhaiterait vérifier le sérieux, des fiches pédagogiques, et ainsi de suite.
[Samuel Laurent Décodex]
On vient d’entendre Samuel Laurent, chef des décodeurs du Monde, au micro de la matinale de Nova le 7 février 2017. L’idée est très intéressante, ainsi le plugin permet de savoir si l’article qu’on lit est une tribune, qui exprime une opinion, un article sourcé, si le site a mauvaise réputation, si les choses sont un peu mitigées et qu’il faut faire attention.
C : Bah alors c’est plutôt bien ça, non ?
X : Oui c’est loin d’être mauvais, je te l’accorde. Dans un premier temps, c’est très bien. C’est parfait pour les lecteurs occasionnels, les étudiants, les profs, etc. On est loin du système de notation assez simpliste et des classements idéologiques peu clair et partisan de journalistes comme le proposait Deep Freeze.
Mais dès que l’on creuse un peu, cela soulève une autre question : n’est-ce pas un peu compliqué d’avoir un titre de presse, le journal Le Monde en l’occurrence, qui définit si tel ou tel site est de qualité ou non ?
C : il y a eu quelques critiques à l’égard du Décodex d’aillerus si je me souviens bien ?
Absolument, quelques médias ont attaqué le Décodex après sa création, car celui-ci leur donnait des labels qui ne leur convenaient pas, jugés trop négatifs, tandis que d’autres semblaient jouir d’une certaine clémence. Le jugement des médias, leur critique en tout cas, sont des exercices compliqués. Mais, il existe d’autres alternatives à explorer !
C : Ah bon ? Lesquelles par exemple ?
X : Eh bien on pourrait citer le poste de médiateur, qui existe par exemple au Monde, Radio France et France Télévisions. Il s’agit de personnes qui travaillent au sein des médias, reçoivent les questions, critiques ou remarques des publics sur le travail des journalistes. Ils enquêtent ensuite de leur côté, puis publient des articles ou des chroniques pour offrir leur conclusion. Il serait une sorte de tampon entre les journalistes et les lecteurs qui garantit un respect d’une info honnête. Mais il y en a assez peu en France et Le New York Times a supprimé le sien il y a environ un an.
Une autre alternative, ce sont les systèmes d’autorégulation de la presse, présents un peu partout dans l’Union Européenne. Mais encore une fois les critiques sont nombreuses, notamment sur le fait qu’ils ne peuvent pas faire grand-chose lorsque des journaux font n’importe quoi. En France nous avons le CSA, le conseil supérieur de l’audiovisuel, qui pourrait être ce qui s’en rapproche le plus, mais qui ne s’intéresse, justement, qu’à l’audiovisuel, et là aussi les critiques sont nombreuses.
Bref, on fait face à un débat compliqué, qui ne date pas d’hier et qui ne risque pas de trouver de résolution prochainement. Encore moins si on en reste aux tweets de ce bon vieil Elon Musk.
C : Au moins, il aura eu le mérite de remettre la question sur la table ! Merci Xavier ! Le médiateur des croissants passera te voir tout à l’heure pour te livrer le courriers de très nombreux admirateurs. À bientôt !
Elon Musk, entre critique des médias et Trip Advisor du journalisme
Avec son annonce grandiloquente sur la création d’une plateforme de notation des journalistes, l’entrepreneur américain Elon Musk a évidemment fait réagir la profession. Avec Xavier Eutrope d’INA Global, on va découvrir que cette initiative est finalement peu inédite et particulièrement problématique.
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