Elon Musk ne dort pas, la Silicon Valley non plus

[EXTRAIT JOE ROGAN]
“- C’est un joint ou un cigare?
- C’est du tabac mélangé à de la marijuana.
- Ah. J’ai déjà essayé une fois.
- Genre. Je suis sûr que tu peux pas fumer parce que tu as peur de tes investisseurs.
- Je veux dire, c’est légal, non ?
- Totalement légal.”
Corentin : Vous venez d’entendre Elon Musk, PDG de Tesla et de Space X, avec le comédien Joe Rogan. L’enregistrement est issu d’un podcast, diffusé le 8 septembre, et il a fait polémique. Pour cause : on y voit Elon Musk fumer du cannabis. Lucie Ronfaut, du Figaro Tech, revient pour nous sur cette histoire, qui n’est peut-être qu’un écran de fumée pour cacher un phénomène plus grave.
Lucie : Salut Corentin! Effectivement, le PDG de Tesla a décidé de donner des sueurs froides à ses investisseurs et à son conseil d’administration, en fumant un joint en direct sur l’un des podcasts les plus regardés des Etats-Unis. Elon Musk a passé un été mouvementé. Depuis le début de l’année, Tesla traverse une période difficile: ses investisseurs doutent de sa capacité à assumer des rythmes de production adéquats, et ses pertes financières explosent. Cette situation est aggravée par le comportement parfois erratique d’Elon Musk. Parmi ses frasques les plus graves, le PDG a annoncé, en août, qu’il envisageait de sortir Tesla de la cote, via un simple tweet et sans prévenir son conseil d’administration. Il fait depuis l’objet d’une enquête de la SEC (le gendarme américain de la Bourse) et plusieurs de ses investisseurs ont porté plainte contre lui.
C : pourquoi Elon Musk se comporte-t-il comme ça?
L : Pour le dire simplement : Elon Musk est épuisé. Il est en plein burn-out et ne parvient plus à se reposer. Mi-août, le New York Times avait invité le PDG à commenter la gestion catastrophique de son entreprise et de sa communication ces derniers mois. Il y a admis être accro à l’Ambien, un puissant somnifère. Il passerait plus de 120 heures par semaine au travail Je ne sais pas si vous vous rendez compte: même si on suppose qu’Elon Musk travaille 7 jours sur sept, ça lui fait quand même des journées de travail de 17 heures.
Il est loin d’être le seul. Dans la Silicon Valley, les petites nuits sont un peu un badge d’honneur. Tim Cook revendique par exemple de se lever tous les matins à 4h. Et Marissa Mayer, ancienne PDG de Yahoo!, aimait s’enquiller des semaines de travail de … 130 heures. Qui dit mieux ?
C : Oui mais le manque de sommeil c’est un problème chez tous les PDG, non ?
L : C’est vrai. Sauf que dans la Silicon Valley, les entreprises ne fonctionnent pas tout à fait de la même manière que les autres. L’industrie des nouvelles technologies aime bien le mythe du chef tout-puissant. Les grandes entreprises du secteur reposent souvent sur les épaules d’un seul homme ou d’une seule femme. Du coup, les PDG sont fatigués, et l’enjeu n’est plus seulement celui de leur santé, mais aussi celle de leur entreprise. Les employés suivent aussi ce rythme, poussés à faire de très longues journées et des nuits très courtes pour faire progresser leur société le plus vite possible.
Les conséquences sont, évidemment, désastreuses: les privations de sommeil ont un effet direct sur les performances cognitives, la mémoire, l’humeur, et sont facteurs de dépression, d’obésité et d’hypertension artérielle. Du coup, les sociétés de la Silicon Valley se retrouvent à devoir inciter leurs employés à se reposer, alors qu’elles sont, en partie, responsable de leur fatigue. Elles ont été parmi les premières à adopter la tendance des «sleep pods», des fauteuils insonorisés pour faire la sieste au travail. Le sommeil devient un bonus gracieusement offert aux employés, au même titre qu’une salle de sport gratuite ou une cantine de qualité.
[EXTRAIT ARIANNA HUFFINGTON]
“J’ai eu une idée, une petite idée qui peut dévérouiller des milliards de grandes idées, qui sommeillent en nous pour le moment. Et cette idée, c’est de dormir.”
Elle, c’est Arianna Huffington, fondatrice du Huffington Post et membre de plusieurs conseils d’administration de grandes entreprises de la Silicon Valley. Et elle fait partie des gens qui tentent de faire la promotion du repos dans l’industrie des nouvelles technologies. Après de graves problèmes de santé dus à son manque de repos, elle a dédié une partie de sa carrière à éradiquer ce qu’elle qualifie de «crise moderne du sommeil.» En 2016, l’entrepreneuse a publié un livre à ce sujet, La Révolution du sommeil (éditions Fayard). Elle a fondé Thrive Global, une plateforme dédiée à aider les entreprises dans la prévention du burn-out de leurs employés. Sa société a levé plus de 50 millions de dollars en deux ans.
C : et d’autres grands noms du secteur tentent aussi de montrer l’exemple …
L : Oui ! Des personnes comme Jeff Bezos (PDG d’Amazon) et Satya Nadella (Microsoft) revendiquent tous les deux leur besoin de dormir au moins huit heures par nuit. Ce qui est un peu ironique, ceci dit, c’est qu’Amazon est régulièrement accusée d’imposer des cadences de travail infernales à ses employés. Autre personnalité engagée dans ce combat: Dustin Moskovitz, l’un des cofondateurs de Facebook,qui parle régulièrement du sujet, et de combien il était fatigué lorsqu’il a créé le réseau social avec Mark Zuckerberg. Pour convaincre ses pairs des bienfaits du sommeil, il emploie des arguments et des mots qu’ils comprennent bien. Il parle de productivité, d’innovation ou de créativité. En d’autres termes: pour bien travailler, dormons un peu plus. Le business n’est jamais très loin.
C : Vivement l’arrivée du prochaine startup révolutionnaire qui viendra disrupter le sommeil ! Avec un PDG insomniaque. On a hate. Merci Lucie et bonne nuit !