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Corentin : Le futur d’internet sera privé ou ne sera pas, tel est le nouveau mantra de Mark Zuckerberg martelé lors de la conférence annuelle des développeurs de Facebook les 31 avril et 1er mai dernier. Un virage salutaire et pas vraiment surprenant après des mois de polémiques autour de la confidentialité des données personnelles de ses utilisateurs, comme nous le rappelle Elodie Carcolse de la Réclame.
Élodie : Salut Corentin, eh oui, vous ne rêvez pas, mais asseyez vous quand même, c’est bien Mark Zuckerberg, patron indéboulonnable de Facebook, réseau social numéro un dans le monde avec ses 2,3 milliards d’utilisateurs, chantre de la publicité en ligne et ogre des données numériques qui l’affirme, je cite : “le futur est privé”. Après son vibrant appel à réguler internet, dont je vous parlais dans une précédente chronique, voici donc la dernière petite pilule bleue que Mark Zuckerberg nous donne à avaler.
Corentin : Huum dans Matrix la pilule bleue est celle de l’illusion, du choix matérialiste et de la vraie fausse réalité. Je dis ça, je ne dis rien...
Élodie : Hasard ou coïncidence ? Bref, quoi qu’il en soit, pour Morph… pour Zuckerberg, cette nouvelle philosophie va déterminer le futur du réseau social. Une nouvelle version présentée comme “une évolution majeure”. Le boss de Facebook affirme même que c’est la protection de la vie privée “qui nous donne le pouvoir d’être nous-mêmes”. Ajoutant, je cite, “Petit à petit une plateforme privée sera plus importante dans nos vies que de grands espaces publics et numériques.”
Corentin : Et il faudra compter sur Facebook, je suppose ?
Élodie : Évidemment. Ecoutons le en introduction de la F8 conference.
[Extrait 1 https://www.youtube.com/watch?time_continue=29&v=UtxPdezclYw
Traduction : Salut tout le monde, bienvenue à la F8, aujourd’hui nous allons parler d’une plateforme sociale construite autour de la vie privée. La vie privée nous donne la liberté d’être nuos même. Il n’est donc pas étonnant que la façon de communiquer en ligne à travers le monde soit la messagerie privée, les petits groupes et les stories. C’est l’étape d’après pour nos services.
Pour Mark Zuckerberg il ne s’agit plus seulement de “faire du monde un lieu plus ouvert et connecté”, comme l’ancien slogan de l’entreprise le scandait. L’objectif, c’est de voir ses utilisateurs se rencontrer, discuter par messages privés via Messenger, ou former des communautés, comme ces groupes Facebook, publics ou privés. Vous vous en doutez, le scandale Cambridge Analytica et ses petits frères sont passés par là, mais ces changements répondent surtout aux nouvelles attentes des internautes. Plus intéressés par les interactions plus restreintes que par le traditionnel fil d’actualités.
Corentin : Oui, ils préfèrent discuter de sujets cachés derrière Messenger, Whatsapp ou toute autre messagerie privée que le faire à la vue et aux sus de tout le monde.
Élodie : Exactement, ce que le marketing appelle le dark social représente désormais la majorité des contenus partagés en ligne. D’après une étude du GlobalWebIndex et de l’agence We are social, 63% des internautes préfèrent partager du contenu sur des canaux sociaux « sombres ». Alors évidemment, on ne parle pas de deep web, mais de toutes les recommandations de contenus, partages de vidéos ou de photos qui ne sont pas effectuées publiquement sur les réseaux sociaux, mais via les applications de messageries privées comme Messenger ou WhatsApp.
Que Zucky se rassure, Messenger serait privilégiée par 82% des sondés pour échanger sous les radars. Au cours du F8, Mark Zuckerberg a confirmé cette tendance : cette année, il y aura plus de contenus publiés via des stories, éphémères rappelons le, Facebook, Instagram ou WhatsApp que sur le fil d’actualité du réseau social.
Corentin : Messenger va d’ailleurs également bénéficier d’une importante refonte, pour la rendre “plus rapide et plus légère que jamais” répondant ainsi au souhait de son PDG de recentrer Facebook sur les échanges privés entre internautes…
Élodie : Oui. Entre internautes... et entreprises également. Pour André Van Loon, directeur insight et recherche chez We Are Social, « Ce changement de comportement des consommateurs souligne à quel point le marketing passe désormais par les médias sociaux, et plus particulièrement les réseaux sociaux sombres”. Car il s’agit bien de cela, de marketing.
Ces nouveaux usages font autant écho à un besoin d’intimité des internautes qu’à leurs inquiétudes liées à la gestion des données personnelles. Ce n’est pas pour rien qu’Apple a fait de la vie privée un argument marketing face à ses concurrents, dont Facebook.
Corentin : Oui, quand il ne vante pas les mérites du RGPD pour promouvoir sa politique en matière de confidentialité des données, Tim Cook tacle Zuckerberg et son groupe comme au moment de l’affaire Cambridge Analytica. Tu nous en parlais d’ailleurs dans une précédente chronique disponible sur le brunch.
Élodie : Correct ! Facebook et tous les acteurs de l’industrie n’ont d’autres choix que de se mettre au diapason des désirs des consommateurs. Pour Facebook, l’un des enjeux, outre celui de regagner la confiance des internautes, est aussi de rester un acteur légitime pour les marques et entreprises auxquelles Facebook vend données et espaces publicitaires. Si tout se passe sous les radars, comment peuvent-elles juger du succès d’un produit ou d’une campagne par exemple ? Et la plateforme justifier ses prix au regard de la visibilité que sa plateforme apporte ?
Corentin : Ces annonces, et fonctionnalités qui les accompagnent sont donc censées illustrer ce changement de stratégie tout en apportant une réponse aux critiques formulées sur sa gestion des données personnelles ou la modération des contenus diffusés par ses membres.
Élodie : Voilà. Sans doute conscient que son revirement vers plus de “privé” ne manquerait pas de faire sourire, Mark Zuckerberg a tenté une petite blague. Bilan : Une éclaircie et un mistral de force 15. Écoutez plutôt :
[Extrait 2 https://twitter.com/alfredwkng/status/1123281388046827520
« Je sais que nous n’avons pas exactement la réputation la plus solide en matière de vie privée, c’est le moins que l’on puisse dire »
Corentin : Sale histoire.
Élodie : Voilà. Lors de cette conférence, Mark Zuckerberg aura tenté de faire rire l’assistance, mais surtout de convaincre, une nouvelle fois, de sa bonne foi, après plus de deux ans de controverses ininterrompues. Ce virage vers plus de “privé” ne signifie évidemment pas que Facebook ne s’intéresse plus à vos données. Même si le réseau social a annoncé son intention de regrouper ses trois messageries – Messenger, WhatsApp et Instagram – au sein d’une même architecture technique où leurs protocoles seront unifiés de manière chiffrée, les usages, habitudes et comportements des internautes seront toujours scrutés.
Corentin : Oui, ne pas confondre plus de privé et respect de la vie privée. Des évolutions donc, en attendant une réelle révolution, à surveiller de près. Merci Élodie, et à la prochaine !
Entre Facebook et la protection vie privée : c’est compliqué
Le futur, c’est la vie privée ! Voilà ce qu’a annoncé en grande pompe Mark Zuckerberg à la conférence annuelle des développeurs de Facebook en 2019. Pourtant, on le sait, entre l’entreprise et la protection des données personnelles, ça n’a pas toujours été ça. Analysons cette volte-face du réseau social avec Élodie Carcolse de « La Réclame ».
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