Corentin : Facebook part à la chasse aux arnaqueurs. C’est en tout cas ce que laisse penser sa dernière action-choc. Début novembre, le réseau social a désindexé de nombreuses pages françaises de divertissement qui arboraient des millions de “likes”. Parmi elles, le réseau Firerank, qui employait une trentaine de personnes. Faut-il se poser des questions sur la toute-puissance de Facebook ? Marie Turcan s’est intéressé à cette affaire. Bonjour Marie.
Marie : Corentin il faut que je te dise: quand j’ai entendu parler de l’affaire Firerank, j’ai immédiatement eu en tête une certaine chanson…
[EXTRAIT La roue tourne de Zaho :D]
Ok, c’est pas très sympa. Mais quand on connaît toute l’histoire de Firerank, il est difficile de s’émouvoir de leur situation.
C : Eh bien explique-nous le contexte. Qui sont ces gens de chez Firerank pour commencer ?
M : Firerank, c’est une entreprise française qui a monté un réseau de plusieurs pages Facebook qui proposent des contenus de divertissement à leurs lecteurs.
Je dis divertissement, mais ce n’est pas très sympa pour la notion même de divertissement. Disons que c’est plutôt de l’occupation de temps de cerveau disponible sans aucune vocation humoristique. Genre:
Quels sont les accessoires beaufs à éviter à la plage.
ou
“Classement des 13 articles les plus insolites que l’on peut acheter sur Amazon ! Quels sont les plus WTF ?”
C : [Petite réaction de Corentin]
M : Bref, on est pas sur de la grande qualité de contenu.
Pourtant, le réseau de pages de Firerank (Food, Shopping, Sports) cumulait quand même 12 millions de “likes”.
C : Ah oui, tout de même ! Ce n’est pas rien !
M : Oui ! C’est très bien. Alors par contre, il est possible que ces “fans de Firerank” ne soient même pas au courant qu’il sont “fans de Firerank”.
C : Alors là, je ne te suis plus.
M : Eh bien, c’est précisément là que Firerank passe de la victime à la victime-un-peu-responsable-de-son-destin-quand-même.
C : Mais ces “fans” ont pourtant bien cliqué sur le bouton like de la page, non ?
M : Alors pour être tout à fait précis, le réseau de pages a construit une partie de sa notoriété grâce au “like-jacking”. C’est comme du carjacking, mais avec des likes.
En somme, cela revient à insérer un bouton “like” transparent sur une page, pour que quand vous pensez cliquer sur un lien ou une vidéo, vous cliquez en fait sur le bouton “like”.
C : Mais c’est un procédé extrêmement déloyal !
M : C’est surtout interdit par les conditions d’utilisation de Facebook, depuis des années. Pourtant, de nombreuses pages y ont eu recours.
Du coup, tu te retrouves à aimer des pages comme “Firerank” ou “Les petites princesses qui aiment le shopping” sans avoir le souvenir d’avoir cliqué sur le bouton.
C : Et j’imagine que tout ça n’est même pas illégal ?
M : Non, ce n’est pas illégal, mais Firerank — ainsi que d’autres pages comme LaVilla ou LePetitBuzz — savait à quoi s’attendre.
Ce sont des startups qui ont monté l’intégralité de leur business model autour d’une plateforme tierce. En gros, elles ont bien profité des outils que Facebook leur offrait, sans rien avoir à payer en échange. Elles n‘ont donc aujourd’hui pas de moyen de râler si Facebook ferme le robinet.
C’est d’autant plus vrai que le PDG de Firerank, Charles Marginier, a admis avoir eu recours à du likejackign dans un billet linkedin, avant de tout supprimer.
C : Si ce procédé existe, il devait y avoir d’autre entreprise qui y avait recours. Est-ce que d’autres grosses pages Facebook de ce type vont disparaître ?
M : Celles qui ont recours au likejacking sont clairement dans le viseur du réseau social. Mais il en reste un paquet d’autres qui n’ont rien à craindre… bien qu’elles se trouvent elles aussi dans une zone grise.
C : De quelle zone grise parles-tu ?
M : Certes, Facebook interdit que l’on “usurpe” des likes. Néanmoins, il tolère d’autres pratiques un peu limites, comme la fusion ou le renommage de pages. Par exemple. Je connais des personnes qui créent des pages Facebook en surfant sur l’actualité, par exemple sur la folie Pokémon Go, et une fois qu’ils ont récolté assez de “like”, la fusionnent avec une autre.
Le journal Du Net a publié un très bon article qui dévoile qu’un certain nombre de pages comme MinuteBuzz, Melty ou OhMyMag ont eu recours à cette pratique. Par exemple, une page appelée “Avoir un fou rire en pleine classe” à 400.000 likes s’est retrouvée, fin octobre, fusionnée avec la page “Social Shopping” de Minute Buzz.
C : Et donc ça, Facebook laisse faire ?
M : Non seulement Facebook l’accepte, mais il le valide. Les restrictions sont un peu plus strictes depuis quelques années. Aujourd’hui, il faut avoir l’accord de Facebook pour fusionner des pages.
C : Enfin bon, on pourrait se dire qu’il n’y a pas mort d’homme non plus… pourquoi est-ce que l’on ne pourrait pas simplement “dé-liker” une page et voilà ?
M : Evidemment il n’y a pas mort d’hommes. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que ces millions de likes cumulés sur les pages, ils sont ensuite revendues à des gros sites. Par exemple, un site peut payer jusqu’à des dizaines de milliers d’euros pour que ses contenus soient relayés sur ces grosses pages Facebook.
Et les personnes derrière ces grosses pages empochent l’argent, fait sur le dos de ton fou-rire en pleine classe.
Moralité de l’histoire: la roue tourne, mais seulement si Facebook accepte de lui retirer sa cale.
EXTRAIT “la routourne a tourné” Ribery :D
C : Merci Marie pour ce récit très intéressant sur le plus impressionnant retour de karma numérique de ces dernières semaines. À la prochaine.
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