Corentin : Cela fait maintenant plusieurs semaines que l’article 13 de la directive européenne sur les droits d’auteurs fait l’objet de contestations de la part de nombreux Youtubeurs. La plateforme d’hébergement elle-même a pris les devants en invitant les créateurs de contenus et les utilisateurs à se mobiliser. Chaînes supprimées, vidéos censurées, disparition de Youtube en Europe… on fait le point aujourd’hui avec Camille Suard.
Camille : En juin dernier on en parlait dans les Croissants, la directive copyright votée en commission à Bruxelles annonçait un bouleversement de la conception du droit d’auteur sur Internet. Pour résumer rapidement, il faudrait que les acteurs de la Toile puissent obtenir un accord des ayant-droits pour utiliser leurs oeuvres. Le but, c’est de mieux rémunérer les créateurs, que la balance soit un peu mieux équilibrée si tu veux.
Co : Ces ayants droits, qui sont ils ? D’où viennent ils ? Que cherchent ils ?
Ca : Et bien à protéger leurs oeuvres tout simplement, en déposant des droits d’auteurs sur ce qu’ils ont créé. Ca passe de l’écrivain à l’éditeur, du musicien au réalisateur, du producteur au média… Mais ces dernier temps, c’est le fameux article 13 de la directive qui fait parler de lui. Ce dernier veut obliger toute plateforme d’hébergement à devenir responsable de tous les contenus mis en ligne et leur respect du droit d’auteur.
Co : C’est là la différence à souligner. Aujourd’hui, un hébergeur comme Youtube doit supprimer les contenus qui ne respectent pas les droits d’auteurs, seulement si ces derniers lui sont signalés.
Ca : Et avec un temps assez court. Avec l’article 13, l’hébergeur doit réagir avant même que le moindre signalement lui soit adressé : ça devient sa responsabilité. La directive ne considère plus le site de Google comme juste un hébergeur.
Co : Mais concrètement, ça donnerait quoi ? Comment YouTube peut s’assurer avant tout le monde qu’une vidéo ne viole pas les droits d’auteurs ?
Ca : La directive avait fait une proposition tout de même, celle du filtrage : un algorithme qui permettrait d’examiner automatiquement et avant validation de publication que les vidéos respectent les droits d’auteur.
Co : Mais je sens le “mais” arriver…
Ca : On ne peut rien te cacher ! La dernière version de la directive a supprimé cette proposition. Parce que, si on y réfléchit, un tel système, ça peut très vite donner lieu à la censure quand elle n’a pas lieu d’être. Un algorithme ça reste un algorithme, il ne peut prendre en compte le contexte et donc les exceptions relatives au droit d’auteurs.
Co : Comme les courtes citations, les analyses, les parodies…
Ca : Oui, par exemple. Et puis avec l’algorithme, cela concernerait toutes les vidéos, mêmes celles des chaînes non monétisées. Car l’article 13 couvrirait les vidéastes qui n’agissent pas dans un but commercial. C’est en tout cas ce qu’a déclaré Eloise Wagner, avocate spécialisée en propriétée intellectuelle a Numerama.
Co : Youtube s’inquiète, les Youtubeurs aussi. Beaucoup ont partagé leur inquiétude sur les réseaux sociaux et sur Youtube, justement. Le Joueur du Grenier, que l’on va entendre juste après, rappelle d’ailleurs que les dernières mises à jour de Content ID est un avant goût déjà problématique de l’article 13, puisqu’il repose sur un robot :
Extrait 1
Co : Une pétition a aussi été partagée, notamment par des vidéastes stars comme Squeezie, Cyprien, Julien Chièze, etc. Ils parlent même de suppression de leur chaîne carrément.
Ca : Si l’algorithme évoqué plus haut est mis en place, leurs chaînes ne pourront être supprimées, puisque leurs vidéos ne verront jamais le jour, et donc, ils ne recevront jamais les fameux trois signalements de YouTube qui annoncent la fermeture d’une chaîne.
Co : Oui donc en fait, si suppression de chaîne il y a, ce seraient le choix de leur créateur, qui préféreraient poster leurs vidéos ailleurs. Ah. Voilà le dénouement qui inquiète Youtube. La désertion de ses vidéastes, qui signerait la mort de la plateforme, du moins en Europe.
Ca : Oui car, outre l’algorithme, il existerait une autre solution qui ne plaît pas trop à Google : Les accords de licence, qui pourraient être signés entre Youtube et tous les ayants droits. Moyennant une somme, les ayants droit accepteraient que leurs contenus soient utilisés.
Co : Le grand bazar. Tu imagines TOUS les ayant droits ? Le nombre de médias, de maisons de productions, d’artistes, etc.
Ca : Ce serait un gros chantier en effet. Ca existe déjà cela dit, comme en France avec la Sacem, la société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de Musique. Mais oui en effet, à une si grande échelle c’est compliqué. Mais surtout…
Co : … ça coûterait énormément d’argent.
Ca : En plein dans le mile. Déjà, pour verser de l’argent avec les représentants des ayants droits. Quand ces derniers ont plus de pouvoirs, que leurs droits sont mieux protégés, Youtube doit passer à la caisse. Mais tu sais qui pourraient voir leurs revenus revus à la hausse également dans l’histoire ?
Co : Les ayant droit qu’on oublie de mentionner dans tout ça, les vidéastes eux-même.
Ca : Et oui… Youtube n’en parle pas. L’inquiétude envers l’article 13 est légitime, on l’a vu, mais Google manque de transparence à ce sujet et demandent à ses contributeurs et utilisateurs de se battre, sans révéler tout ce que ça impliquerait. Si ça passe en l’état, il y a plus de chance pour que Youtube mette la main au portefeuille, que de mettre en place un algorithme qui ferait fuire les vidéastes. Donc, oui, il est dans son propre intérêt que cette directive ne passe définitivement pas.
Co : D’où les très nombreux messages diffusés par YouTube un peu partout. Comme, cette vidéo officielle qui explique pourquoi l’article 13 serait dangereux pour les créateurs sur YouTube :
Extrait 2
Traduction : “Si vous êtes dans les 28 états membre de l’Union Européenne, Youtube et les autres plateformes n’auront pas d’autres choix que de bloquer vos vidéos déjà publiées et de vous empêcher d’en publier de nouvelles au sein de l’Union Européenne.
Nous avons besoin de vous et de vos fans, pour faire entendre votre voix dès maintenant, en faisant une vidéo sur l’article 13, en tweetant dessus avec le hashtag SaveYourInternet. Rejoignez le mouvement sur youtube.com/saveyourinternet.
Ca : Ce qui est assez dérangeant, c’est qu’en plus d’envoyer un message inquiétant à ses utilisateurs, YouTube a sollicité de nombreux vidéastes en leur disant qu’Internet est en danger, que YouTube va disparaître et que tous leurs contenus vont être supprimés. Une façon d’utiliser les vidéastes comme leur portes paroles, leur ambassadeurs. Youtube a même mis à disposition un kit contenant des images et messages dramatiques prêts à l’emploi pour être publiés un peu partout sur le web.
Co : Assez agressif dans sa méthode, en effet. Jouer dans le mélodrame, avec des phrases choc sans pour autant expliquer clairement toutes les raisons de son opposition, pour ne pas dire la réelle raison de son opposition… Oui, il y a quelque chose d’un peu malhonnête dans la méthode !
Ca : Le sujet est complexe. Rappelons que le texte, à l’heure qui l’est, n’est pas définitif mais toujours en cours d’écriture. Et quand bien même, le droit français peut également l’adapter par la suite.
Co : La validation de cette directive aura lieu au premier semestre de 2019, nous verrons comment évolue le dossier ! Merci Camille pour ces éclaircissements et à bientôt !
La guerre personnelle de YouTube contre l’article 13 de la directive sur les droits d’auteurs
Comme la plupart des géants du net, YouTube est contre certaines mesures de la directive copyright qui en train d’être finalisée au sein des institutions européennes. Or, récemment, on a pu voir une mobilisation des créateurs de contenus sur la plateforme pour dénoncer le texte. YouTube y est-il pour quelque chose ? On voit ça avec Camille Suard.
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