[PERE CASTOR]
Lucie : Auditeurs et auditrices des Croissants, approchez ! Je vais vous raconter une belle histoire : celle de la Menstrutech.
Corentin : la quoi ?
L : Tu vas voir, tu vas vite en comprendre. Mon histoire débute en 2014. A l’époque, Apple présentait HealthKit, sa première application mobile dédiée à la santé. On pouvait y renseigner toutes sortes de données relatives au corps humain, pour se surveiller. Les informations étaient très variées. On pouvait y calculer le taux d’alcool présent dans notre sang, en y renseignant le nombre de verres ingérés, mesurer le nombre d’utilisations quotidiennes d’un inhalateur, ou même sa consommation de sel. Cependant, Apple avait été victime d’un “petit” oubli. Son application ne disposait d’aucune option relative aux menstruations. Apple était capable de penser aux asthmatiques, aux diabétiques, mais pas aux personnes qui ont leurs règles. Soit une très grande partie de la population mondiale, femmes et hommes dotés d’un utérus, dans le cas de personnes transgenre.
C : Et aujourd’hui, les applications dédiées aux règles et à la santé féminines sont nombreuses, et de plus en plus populaires.
L : Oui ! Moi, j’appelle ça la “Menstrutech” : l’ensemble des innovations autour des règles et du suivi du cycle menstruel. Généralement, il s’agit d’applications sur smartphone qui rappellent l’arrivée imminente des règles. Plusieurs entreprises se sont spécialisées dans le sujet : Clue (le premier acteur du secteur, avec plus de 5 millions d’utilisateurs, né en Allemagne), Flow (fondée par l’un des cocréateurs de PayPal), Maya (une application indienne)… Et les géants du Web suivent aussi la tendance. Apple et Google proposent désormais dans leurs services des options pour suivre son cycle menstruel et prévoir l’arrivée des règles. Rien que sur le Play Store, la boutique d’applications d’Android, on compte plus de 250 services mobiles permettant de suivre les menstruations. Ils s’inscrivent dans la tendance plus générale de la «Femtech», les technologies, objets connectées et applications dédiés au corps féminin: appareil de rééducation du périnée relié à son smartphone, tampon connecté, soutien-gorge capable de détecter les cancers du sein... Ce marché devrait peser plus de 50 milliards de dollars d’ici 2025.
C : mais concrètement, ce genre d’applications, à quoi ça sert ?
L : Alors déjà, bêtement, à se souvenir de quand ses règles vont arriver. Ensuite, certaines apps se dédient plutôt à l’aide à la procréation. Les femmes qui veulent avoir des enfants s’en servent pour repérer leur période d’ovulation. D’autres, au contraire, utilisent ce genre d’applications comme substitut à la contraception. C’est un peu la version 2.0 de compter les jours de son cycle sur un bout de papier. A noter qu’une grande majorité d’applications de Menstrutech préviennent qu’elles ne doivent pas être utilisées comme un moyen de contraception, puisqu’il ne s’agit que d’un algorithme en ligne, qui ne peut pas vraiment deviner ce qui se passe dans votre corps. Il est plutôt recommandé d’utiliser ce genre de services comme un accompagnement à votre contraception classique, afin de mieux comprendre le déroulé de votre cycle menstruel.
C : et ça marche ?
L : Oui ! Depuis 2014 et les ratés d’Apple, la Menstrutech s’est bien développée. J’y vois plusieurs raisons. Premièrement, la Menstrutech s’inscrit dans un mouvement féministe, qui pousse les femmes à parler davantage de leurs règles, à mieux les comprendre et à se les réapproprier. Et c’est d’ailleurs un mouvement doublement féministe, quand on sait que le milieu des nouvelles technologies est très masculin. Il existe un tabou des règles et du corps féminin sur Internet : on ne peut pas montrer ses tétons sur Facebook, ou parler de vagin sur YouTube, par exemple. La Menstrutech, à sa manière, brise un peu le secret en ligne autour de nos utérus.
Mais le phénomène porte aussi des parts d’ombres. Les données relatives au cycle menstruel ont un fort potentiel lucratif. Les services de la Menstrutech se paient d’un pan de notre vie intime. Par exemple, les données des règles peuvent faire l’objet de publicités ciblées. Dans le New York Times, une femme, en 2016, témoignait d’avoir reçu des coupons de réduction pour du lait en poudre, quelques mois après avoir fait une fausse couche. Elle utilisait une application de Menstrutech et y avait indiqué sa grossesse.
Ces questions sont propres à la Menstrutech, mais la dépassent largement. In fine, c’est toute la santé connectée, et la manière dont nous envisagerons notre corps et nos maladies à l’avenir, que ces questions concernent. Les règles ne sont qu’une première étape. On s’inquiète parfois du développement de la santé connectée, un futur hypothétique dans lequel des machines surveilleraient automatiquement les données de notre corps. Eh bien cette science-fiction a déjà une réalité: c’est la Menstrutech. Tout le monde devrait s’y intéresser, même si vous n’avez jamais eu vos règles.
C : J’en fait partie et c’est en effet intéressant ! Merci Lucie et à très vite.
La « menstrutech », la santé sang pour sang connectée
Lucie Ronfaut du « Figaro Tech » nous parlera de la « menstrutech ». Ce pan de la technologie s’intéresse aux règles menstruelles. Il s’agit également d’une belle porte d’entrée pour réfléchir à la manière dont la technologie va gérer notre santé dans le futur.
0:00
6:42
Vous êtes sur une page de podcast. En cas de difficulté pour écouter ce document sonore, vous pouvez consulter sa retranscription rapide ci-dessous.