Les mèmes : nouvel outil de propagande pour l’extrême droite
Co : Aujourd’hui Camille Suard va nous parler de mèmes et d’extrême droite. Ce n’est pas une blague, les outils de communications évoluent avec leur temps, pour le meilleur et pour le pire.
Ca : Bonjour Corentin ! Internet est un formidable outil de partage de connaissances, un moyen de connecter le monde entier (ou presque), de délivrer l’information pour tous (enfin une partie), c’est aussi un lieu de démocratie où chacun peut s’exprimer.
Co : C’est beau ce que tu dis Camille, j’en ai presque la larme à l’oeil.
Ca : Et puis bon, Internet c’est aussi pas mal de conneries qu’on adore hein : des chatons, des gifs et des mèmes. Et quand les nerds s’accrochent à quelque chose, que ça se propage, ça devient cool, c’est rentré dans la culture populaire, et hop, c’est récupéré ! Non, je ne parle pas du capitalisme mon cher Corentin, mais de l’extrême droite.
Co : C’est tout de suite beaucoup moins fun ce que tu me dis. L’extrême droite récupère nos outils et notre langage pour les détourner et ainsi faire passer au mieux leurs idées en masse ? Du genre, ni vu, ni connu ?
Ca : En 2016, sur le forum anonyme 4Chan, réputé pour y abriter notamment des communautés aux discours et aspirations discutables, est apparu le “NPC” pour “non player character”. L’équivalent en français est “PNJ”, ces personnages non jouables dans les jeux vidéo.
Co : Oui, ils sont là pour répondre de manière assez random ou pour donner l’illusion de vie dans une ville par exemple. Ils n‘ont pas d’impact : ils sont interchangeables, plus là pour faire joli qu’autre chose.
Ca : C’est ça. Sur le forum, ces mèmes prennent l’apparence d’un visage dessiné très grossièrement, l’air inerte, et tous semblables. Ils ont été créés pour pointer du doigt un certain conformisme idéologique de la part de ceux qu’on appelle les Social Justice Warriors, des personnes avec des idées progressistes. En tout cas, c’est ce qui s’est passé de manière générale, car il y a eu aussi une utilisation de ce mème par des anti Trump dans les débuts.
Co : En gros, ils se font traiter un peu de robot bien programmé, dans l’incapacité de penser par soi-même. On est d’accord qu’à la base, c’est du troll, que ça vise à choquer, à froisser, mais que ce n’était pas utilisé à des fins clairement politique ?
Ca : Absolument. Mais le troll a commencé à sortir du forum, pour aller sur celui de Reddit, jusqu’à se répandre sur Twitter, se tapant l’incruste dans les débats politiques. Les médias américains se sont emparés du sujet, comme le New York Times et là, ça a été l’effet domino : des membres représentatifs de l’alt right, la droite de la droite américaine, se sont appropriés ce mème à travers des vidéos sur YouTube et sur les réseaux sociaux.
Co : Du coup, un vilain petit mème qui était au départ assez confidentiel, né dans un coin sombre d’Internet, s’est étalé un peu partout. La petite blague si j’ose dire, est devenue virale et s’est définitivement politisée. Peut-on dire que les médias ont joué un rôle de premier plan là dedans ?
Ca : Oui, malgré eux. Ils ont donné de la visibilité et de l’importance au phénomène. C’est un paradoxe, une question délicate dont les journalistes se heurtent bien souvent : Signaler un mème nuisibles, l’expliquer, mais de manière responsable pour ne pas attiser la haine et lui donner encore plus d’importance. En cherchant à combattre ce qui est toxique, on risque aussi d’amplifier ce qui est toxique. Ça peut se rapprocher de ce qu’on connaît aujourd’hui sous le nom d’effet Streisand. Ou comment diffuser involontairement l’information que l’on cherche à dissimuler.
Co : C’est toujours très compliqué en effet d’aborder ce type de sujet. Ca nourrit aussi les discours de ceux qui se sortent immédiatement le drapeau de la lutte contre la censure. Rappelons que la liberté d’expression a un pouvoir plus important aux États-Unis puisqu’elle est protégée par la Constitution. En Europe, elle trouve ses limites quand elle porte atteinte aux droits humains.
Ca : Tu as raison de le rappeler, la tolérance à ce qui peut être dit n’est pas la même des deux côtés de l’Atlantique. L’affaire a pris une nouvelle tournure au début du mois d’octobre, avec l’approche des élections de mi-mandat. Le mème est devenu le nouveau symbole des pro Trump visant à taper sur les progressistes.
Co : Le site conspirationniste d’Alex Jones Infowars a même organisé mi-octobre un concours pour récompenser le meilleur de ces mèmes. Cercle vicieux, car les cibles visées réagissent, les pro Trump et l’alt right s’en frottent les mains…
Ca : En reprenant les mèmes, un outil largement utilisé par les internautes, il devient facile et rapide, de répandre ses opinions. En France, l’humoriste espagnol surnommé “El Risitas” est devenu le symbole des petits bras du FN sur le web, et a été repris par Florian Philippot du parti d’extrême droite dans une vidéo pour saluer sa communauté.
Ces mèmes propagent aussi de la désinformation, des fake news. C’est pour cela que Twitter a fermé 1 500 comptes. Le réseau s’inquiétait d’en voir autant créés spécialement pour ça et délivrant des informations trompeuses notamment en ce qui concernait les élections de mi-mandats.
Co : Ca me rappelle Pepe the Frog et les élections américaines.
Ca : Oui souviens-toi, la grenouille aux gros yeux était à l’origine en 2005 un personnage de bande dessinée en ligne par Matt Furie, un célèbre auteur américain de livres pour enfants. Elle a été récupérée lors de la campagne électorale qui a fait élire Trump. Le petit amphibien est devenu malgré lui le symbole de l’extrême droite, travesti, avec soit la fameuse mèche du président américain, soit la moustache d’Hitler, ce genre de chose. Il a notamment été utilisé par les suprématistes blancs pour attaquer la candidate démocrate Hillary Clinton.
Extrait 1
Co : On l’a même vu en France pour soutenir Marine Le Pen, candidate du Front National pour l’élection présidentielle de 2017. Pourtant Pepe au départ c’était plutôt un message d’amour et de tolérance. Son créateur a finalement mis en scène la mort de son personnage, dégoûté de la tournure qu’ont pris les évènements.
Ca : Les conséquences peuvent être désastreuses. Le Mème est un objet à la base amusant, créatif et par nature viral, il a la capacité à vite devenir universel dans la culture internet et populaire. Si on a pas forcément pris au sérieux l’arrivée de ces mèmes, on ne peut aujourd’hui nier qu’ils ont eu un certain impact.
Co : Du coup comment identifier le moment où un mème devient un symbole politique et haineux ?
Oren Segal, directeur de l’Anti-Defamation League (ADL), une association de lutte contre l’antisémitisme, révèle que ceux qui créent ces mèmes provocateurs espèrent que les médias traditionnels les mettent en lumière. On a à l’origine bien souvent des trolls qui s’amusent à provoquer sans forcément avec des intentions politiques ou consciences politiques. Or, quand ça prend de telles proportions, que ça dépasse “la blague” et que ça s’agrémente de fake news, qu’on se retrouve avec des incitations à la violence, de façon parfois très directe, là on peut en faire un rapport, le signaler, les interdire.
Extrait 2
Co : Ce qu’on a entendu, c’est une vidéo d’un membre de l’alt right qui a donné un coup de poing à une militante antifa lors d’une violente confrontation qui à eu lieu à Berkeley.
Ca : Elle a été reprise, surnommée “The Falcon Punch”, une référence au jeu vidéo Super Smash Bros et relayée en masse sous ce ton de l’humour sur les réseaux. C’est devenu un mème, ça n’a rien de drôle ou de critique, c’est ni plus ni moins que la célébration de la violence et un dangereux outil de propagande.
Co : En effet, le troll s’alimente et peut donc aller vraiment très loin et servir des discours de haine… Attention avant de partager un mème populaire, il est parfois de bon ton de vérifier le cadre dans lequel il a été créé. Bon, eh bien, après ça, j’ai bien envie de me faire une session réconfort de lolcats. Merci Camille et à la prochaine !
Le mème : nouvel outil de propagande pour l’extrême droite
Au départ, ils paraissent pourtant innocents. Les mèmes, ces images ou vidéos que l’on partage et décline à l’infini sur les réseaux, sont également devenus des outils de propagandes. L’alt-right aux États-Unis les utilise abondamment pour faire passer ses idées. Camille Suard nous en parle plus en détail.
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