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Vieux à 30 ans dans la Silicon Valley
Corentin : Ah qu’il est terrible de se sentir vieux lorsque l’on a trente ans. A l’âge ou certains entrent pleinement dans la vie active, d’autres déplorent d’être déjà périmés, en particulier dans les entreprises de la Silicon Valley. En cause, une technologie qui avance plus vite que les années ne tombent et qui entraîne avec elle ce sentiment d’être dépassé, comme nous le raconte Elodie Carcolse de la Réclame.
Elodie : Bonjour Corentin, et oui, le saviez vous ? Il existe une maison de retraite d’un nouveau genre spécialement créée pour accueillir les rescapés, ou naufragés, c’est selon, de la Silicon Valley, comme le raconte le New York Times dans un article du 4 mars dernier.
L’une d’entre elle porte le nom de Modern Elder Academy et est située à El Pescadero en Basse Californie du Sud. Pour y séjourner, il faut soumettre une demande pour des programmes d’une semaine et s’acquitter de frais de scolarité de 5 000 dollars. Et encore, si on est accepté ! Pour ce prix, la chambre et trois repas par jour sont compris. Depuis novembre dernier, certains trentenaires y effectuent des cures de jouvence. Oui, afin de se sentir plus jeunes et dans le coup.
Corentin : Une crise de la quarantaine version 2.0 en somme
Elodie : On peut le dire. La tyrannie du cool imposée par le berceau des nouvelles technologies, et la culture tech qui l’accompagne, semblent produire son lots de déphasés.
Corentin : Oui, d’ailleurs Mathilde Ramadier, jeune française expatriée à Berlin, le racontait déjà en 2017 dans son livre : Bienvenue dans le nouveau monde, comment j’ai survécu à la coolitude des start up.
Elodie : exactement. 2 ans plus tard, le nouveau monde n’a pas changé. Chip Conley, un hôtelier devenu entrepreneur de la Silicon Valley s’est lancé après s’être aperçut en 2013 que ses collègues chez Airbnb le trouvaient vieux alors qu’il flirtait seulement avec les 52 printemps. Un âge canonique qui lui valu le sobriquet de “l’ancien/l’ainé”.
Si cette anecdote peut prêter à sourire, elle révèle beaucoup plus qu’il n’y paraît. Comme il l’explique lui même : “Nous sommes tous des anciens en devenir. Si vous avez 40 ans et que vous êtes entouré de gens de 25 ans, vous êtes un aîné.«
Corentin : Oui, comme lorsque l’on accueille des stagiaires ou travaille avec des jeunes qui n’étaient pas nés en 1998…
Elodie : ahahah on sent l’expérience vécue. Ca fait toujours un petit pincement, je l’avoue ! Quoiqu’il en soit, cette maison de retraite pour trentenaires en perdition s’adresse tout spécifiquement aux travailleurs de l’économie numérique - ceux qui ont l’impression que la technologie environnante s’emballe plus vite qu’elle ne marque le pas.
Si Chip Conley s’attendait à accueillir des gens âgés de 45 à 60 ans dans une hacienda mexicaine transformée en maison de retraite de luxe, il fut surpris de voir débarquer des participants beaucoup plus jeunes. Comme cette future quarantenaire qui explique au New York Times, je cite : »Tous mes collègues ont 30 ans et j’en ai presque 40. Avant, le marketing, c’était une question de sentiments. Maintenant, ce n’est que des données et je dois accélérer avec ces données. Donc je me sens plus vieille.«
Corentin : Comme ces personnes nées avant internet, qui n’y ont eu accès qu’au lycée et les ont véritablement utilisées et appréhendées dans leur vie professionnelle
Elodie : Exactement, ils sont désormais aussi vieux que le web qui fêtait ses trentes ans le 12 mars dernier, et n’ont eu de smartphone qu’après avoir débuté leur carrière. Contrairement à leurs collègues, encore plus jeunes, qui sont des digital native. Ces natifs du numérique en bon français, sont des early adopter pour la plupart : les nouvelles technologies n’ont aucun secret pour eux ou leurs sont au moins familières depuis leur plus jeune âge.
L’univers de la tech accentue ce culte de l’instant, du risque et de la jeunesse. Le »management du bonheur" de la nouvelle économie s’accompagne généralement d’une concurrence féroce entre les travailleurs affublés d’une date de péremption aux alentours des 35 ans. Des employés à qui l’on dit régulièrement qu’ils sont remplaçables alors qu’ils sont déjà sous payés. Et que la véritable retraite est encore bien loin.
Corentin : Oui, d’ailleurs l’article rappelle qu’une étude réalisée en 2017 expliquait que le taux d’embauche ralentissait dès qu’on avait passé les 34 ans et que l’âge moyen d’un salarié chez Facebook, LinkedIn ou Space X est de 29 ans.
Elodie : C’est ça. Ou comment on se sentir vieux avant de l’être véritablement. À la Modern Elder Academy, on aide les personnes qui se sentent obsolètes à se retrouver. Pour cela, on affiche ses inquiétudes sur des autocollants, comme “Les Millennials gouvernent le monde” ou “je me sens invisible”. Il y a également des ateliers d’acceptation de la mortalité, yoga, méditation ou encore lecture et marche consciente. Les repas n’en sont pas moins copieux et arrosés de vin pour ceux qui le souhaitent. En revanche, pas d’after, “minuit équivaut à 21 heures” prévient Chip Conley.
[Extrait : https://www.youtube.com/watch?v=OCvBkBbTqSo 2’18 > 2’34]
VO : There’s a whole new segment of life where a person is sort of a young old so we’re the place that you come to refuel as almost like midlife pit stop where you can actually learn in their life what you can do for the rest of your life.
Traduction : Il y a un tout nouveau segment de vie où une personne est une sorte de “jeune personne âgée”, nous sommes donc l’endroit où l’on vient recharger les batteries, presque comme à la mi-temps de sa vie, et où l’on peut apprendre ce que l’on peut faire pour le restant de ses jours/le reste de sa vie.”
Elodie : Si le concept semble novateur, ce type de retraite pour ouvriers de la tech usés et désabusés n’est pas une première. En janvier 2018, France Culture nous parlait déjà de l’Institut Esalen. Un centre d’éducation d’inspiration «New Age» créé en 1962 et transformé par un ancien chef de produit de chez Google en centre de retraite 2.0. Implanté en Californie, ce berceau des hippies est désormais le lieu de villégiature des “cadres en recherche de paix intérieure” d’après son nouveau directeur.
[Extrait https://www.franceculture.fr/emissions/la-revue-de-presse/la-revue-de-presse-jeudi-4-janvier-2018]
Elodie : Au programme de cet institut : séminaires sur la dépression et les nouvelles technologies, marches de pleine conscience agrémentées d’eau de coco et de kombucha, Comptez jusqu’à 2 890 dollars pour un week-end. Bref, rien de nouveau sous le soleil. Business INsider voit cependant dans ces retraites pour fortunés de la Silicon Valley, un nouveau signe extérieur de richesse. Plus low profil que la dernière Tesla. Le bien être étant de plus en plus considéré comme une incarnation moderne du luxe.
Je ne crois pas qu’un tel concept existe en France, mais au train où vont les choses, celle ou celui qui voudra se lancer trouvera certainement quelques âmes à sauver.
Corentin : Comme entre les Ehpad et les iPad. Il n’y a qu’un pas. Merci Elo pour ce compte rendu et à très vite !
Retraite pour geeks : quand la Silicon Valley se met au vert
Où aller lorsque l’on travaille dans les nouvelles technologies, que l’on a quelques milliers de dollars en trop, et que l’on souhaite se ressourcer ? Élodie Carcolse de « La Réclame » nous présente la dernière tendance de la Silicon Valley : la retraite pour geeks entre deux âges.
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