Plusieurs créatrices et créateurs dénoncent la démonétisation de vidéos sur YouTube qui traitent du corps et de la sexualité des femmes
Corentin : Parler de règles, de vulves et de coupes menstruelles est visiblement toujours tabou pour la plateforme YouTube. L’association Les Internettes (avec deux-t, e, s) dénonçait en mai dernier que la plateforme démonétise systématiquement les vidéos qui traite de la sexualité et du corps des femmes. Angèle Chatelier fait le point.
(EXTRAIT 1)
Angèle : Ça c’est Clémence, 23 ans, qui officie sous le nom de Clemity Jane sur YouTube. Ses vidéos parlent de sexe, de vagins, de sextoys, mais aussi de maladies sexuellement transmissibles et de tous les droits qui concernent les femmes et celles qui se définissent comme telles. De l’éducation sexuelle, donc. La plupart de ses vidéos sont démonétisées par la plateforme. « 90% d’entres elles », selon sa créatrice.
Clemity Jane n’est pas la seule. Charlie Danger, créatrice de la chaîne d’histoire Les Revues du monde, s’est vue démonétiser une vidéo sur les règles dans l’histoire. (EXTRAIT 2)
C : Concrètement, pourquoi YouTube peut démonétiser une vidéo et qu’est ce que cela engendre ?
A : Monétiser ses vidéos signifie pouvoir avoir de la publicité d’annonceurs dessus. En mai 2017, un scandale éclate au Royaume-Uni : le Times révèle que des publicités servent à financer les auteurs de contenus haineux ou faisant l’apologie du terrorisme. Plusieurs marques, donc, ont pris le parti de retirer leurs publicités de la plateforme pour ne pas être assimilées à ces auteurs. Résultat, YouTube durcit sa politique : dans ses nouveaux critères applicables à la monétisation, il dit noir sur blanc qu’une vidéo n’est pas éligible à la monétisation si celle-ci contient des scènes de violence et/ou de nudité visant à choquer ou à provoquer le dégoût.
C : Jusque-là, tout est normal
A : Oui. Sauf que si on veut aller plus loin, il faut aussi savoir que YouTube démonétise les contenus, je cite, « présentant des jouets et des objets sexuels ou qui traitent explicitement de sexe », sauf s’il s’agit de vidéos d’éducation sexuelle, comme le rappel Le Monde. Des vidéos qui parlent de contraception, par exemple.
Mais alors, où se situe la différence entre une vidéo affichant du sexe gratuitement, et celles qui sont, de fait, de l’ordre de l’éducation sexuelle ou ou qui touchent aux corps des femmes ?
La YouTubeuse Léa Bordier s’est retrouvée confronté au même problème. Elle fait un carton avec sa chaîne, Cher Corps, des portraits et témoignages de femmes et de leur rapport au corps. (EXTRAIT 3)
Au Monde, elle a fait part qu’une de ses vidéos avait été jugée non compatible avec les publicité à cause d’un soutien-gorge un peu transparent.
Elle souligne même que l’algorithme de YouTube démonétise systématiquement ses vidéos. Un créateur peut faire appel de cette décision pour que sa monétisation soit revalorisée mais cela peut prendre du temps. Or comme le dit Léa Bordier, les premières heures de publication d’une vidéo sont les plus importantes : dans ses vues, son succès, et les revenues qu’elle génère.
C : Résultat, l’association Les Internettes a mis en lumière ce problème à travers le hashtag #MonCorpsSurYouTube
A : Les Internettes est une association créée en 2016 qui réunit, valorise et encourage les créatrices de vidéos sur le web. Marie Camier Théron en est la cofondatrice et trésorière. A Brut, elle s’est expliqué sur son collectif et cette démonétisation de vidéo (EXTRAIT 4)
Le hashtag #MonCorpsSurYoutube a donc été lancé fin mai dernier pour que chacune et chacun partage ses expériences sur les politiques de démonétisation de la plateforme.
C : En réalité, cela pose un problème plus global
A : Si une vidéo est démonétisé, elle n’apparait pas dans les tendances de la plateforme et ses créateurs et créatrices ne sont pas rémunérés. Si elles n’apparaissent pas dans les tendances, alors les sujets qui y sont traités ne seront aussi pas vus. Si les vidéos qui traitent d’éducation sexuelle féminine et du corps des femmes le sont, difficile de changer les moeurs et de discuter à propos de ces sujets-là.
C : Est-ce que c’est la même chose pour les vidéos qui traitent de corps masculins ?
A : Visiblement, non. En tout cas, le YouTubeur Julien Ménielle, auteur de la chaîne DansTonCorps a fait un test. Le Monde le rappelle : il a publié en mai 2017 deux vidéos. L’une sur le pénis, l’autre sur le clitoris. Celle sur le clitoris avait été démonétisée en peu de temps et interdite aux moins de 18 ans, contrairement à la première. YouTube avait à l’époque plaidé une erreur et avait remonétisé la vidéo (EXTRAIT 5)
Ce n’est pas le seul exemple : je vous parlais tout à l’heure de la chaîne La Revue des Mondes qui parlaient des règles dans l’histoire. Le vidéaste Nota Bene, lui, a réalisé une vidéo sensiblement similaire sur le sexe au Moyen-âge. Sa vidéo n’a pas été démonétisée, comprenant pourtant explicitement le mot « sexe » dans le titre.
C : Comment YouTube se défend ?
A : Le Monde a contacté YouTube France. Il ont assumé leurs choix de modération, qu’ils disent conformes à leur règlement, notant toutefois que cela n’empêche pas pour autant la liberté d’expression.
C : Ils remettent cela sur le dos des annonceurs, surtout
A : Oui. Ils disent que toutes les vidéos ne conviennent pas nécessairement à l’ensemble des annonceurs. Et qu’il faut donc respecter le règlement de la communauté pour pouvoir rester sur YouTube.
En réalité, c’est un algorithme qui se charge de tout ça. Vous vous souvenez, je vous parlais dans une autre chronique du problème de YouTube Kids : c’est un algorithme qui choisit si telle ou telle vidéo est pour les enfants, ou non.
Résultat, de nombreux problèmes avaient été soulignés : une vidéo de Jean-Marie Le Pen invité sur BFM qui était visionnable par les enfants juste parce qu’il avait dit le mot “zigoto”, des théories conspirationnistes, etc.
C’est ici le même problème : l’algorithme décide lui-même sur une vidéo est jugée non conforme alors qu’il s’agit la plupart du temps de vidéos qui traitent de la sexualité des femmes. Pourquoi, d’ailleurs, celles qui parlent de la sexualité des hommes ne sont pas systématiquement, elles aussi, démonétisées ?
Encore un sujet qu’il va falloir creuser.
C : Merci Angèle Chatelier d’avoir fait la lumière sur le traitement de la sexualité des femmes sur YouTube. Je rappelle que ta chronique sur YouTube kids est disponible dans le brunch, évidemment. A très vite,
Sur YouTube, les femmes travaillent à corps perdu
Il s’agit d’un véritable problème pour les vidéastes sur YouTube. Dès qu’ils se mettent à parler du corps féminin dans une vidéo, c’est pratiquement systématique, elle se retrouve démonétisée, privant les créateurs des revenus publicitaires. Une situation d’autant plus troublante que le corps masculin ne semble pas provoquer autant d’émoi chez les annonceurs. Angèle Chatelier s’intéresse de plus près à ce deux poids deux mesures.
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