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Thomas : Aujourd’hui Corentin tu viens nous présenter un jeu vidéo et pas n’importe lequel puisque c’est un calibre que tu aimes bien : le petit titre indépendant avec un concept et fort et novateur.
Corentin : Eh oui Thomas ! Compliqué de faire plus « high concept » - comme on dit en bon français - que ce dont je vais vous parler maintenant. Le design est si original que le jeu a d’ailleurs remporté un prix à la Nordic Game Jam en 2017 et à l’IndieCade Europe en 2018 ! Ce qui n’est pas rien ! Rien que le nom est bizarre : « Baba is You ».
T : Ah non, moi c’est pas Baba, c’est Toto, Coco.
C : Non, mais je sais Toto, que toi, c’est pas Baba. Mais Baba en vrai, c’est le nom d’une sorte de petit chien que l’on incarne dans ce titre. Et comme vous allez le constater, Baba is You est en réalité une phrase que vous allez voir très... TRÈS souvent.
[Musique 1]
T : En tout cas, la musique sent bon la petite boite à son toute mignonne.
C : Oui ! Il y a un vrai charme, mais on y reviendra tout à l’heure. Alors, dans Baba is You, on est Baba. On le contrôle en vue du dessus et on se déplace en case par case dans des décors en 2D. Jusque là...
T : ...rien de bien original en effet. Mais j’imagine qu’il doit avoir des pouvoirs ton chien. Il fait quoi, alors ? Il lance des lasers par le museau ?
C : Ben, non, il ne fait rien de particulier, il pousse simplement des blocs. Et en plus, il ne peut même pas les tirer. Donc si tu les mets dans un coin... baaaaah, le bloc, il ne bougera plus.
T : Ok. Mais j’ai le sentiment d’avoir déjà vu ça dans un nombre incalculable de jeux, notamment le tout premier jeu sur un téléphone portable auquel j’ai joué, avec un pingouin et des blocs de glace. C’était en 1999. Alors elle est où l’originalité ?
C : Elle vient du fait que dans Baba is You, on ne pousse pas que des caisses ou des clefs par exemple, mais on pousse également... des mots !
T : Des mots, genre, avec des lettres ?
C : Absolument. Et en poussant ces mots, on va former des phrases de gauche à droite ou de haut en bas. Des phrases comme, je te le donne en mille, Thomas, rappelle-toi du titre...
T : Baba is You.
C : Voiiiilà.
T : Non, mais d’accord, mais “Baba is You” ça ne veut strictement rien dire !
C : Eh bien si ! Dans la grammaire du jeu, ça veut dire que toi, le joueur, YOU, tu es BABA. Tu incarnes Baba. Baba is You. Cette phrase - ou équivalent - est présente dans chacun des niveaux du jeu. Tout simplement parce que si ce n’était pas le cas, eh bien tu ne serais pas défini, tu ne serais rien du tout, et donc tu ne contrôlerais personne dans le jeu. Ce qui est gênant tout de même.
T : Et quel est le but du jeu ?
C : De gagner ! Pardi !
T : OOooooh là, Coco, tu vas arrêter de prendre Bibi pour une truffe, hein ?
C : Alors déjà, c’est pas Bibi, mais Baba et ensuite je ne plaisante pas ! Il faut créer une condition de victoire. Dans chaque tableau, il y a un bloc WIN. Le plus souvent dans la phrase FLAG is WIN. Cette phrase indique ce que tu dois faire pour finir le niveau.
T : Et dans ton exemple, FLAG is WIN, il suffirait de se rendre sur le drapeau pour gagner.
C : Voilà ! Mais si par exemple le drapeau n’est pas accessible parce qu’il est derrière un mur, eh bien il suffit de changer les règles ! En formant une phrase expliquant que maintenant, c’est le fait d’aller sur le mur lui-même qui te fait gagner en créant la phrase : WALL is WIN.
T : Ah oui ! Il faut donc vraiment penser en dehors du cadre du jeu pour gagner.
C : Tout à fait. Et notamment dans les premiers niveaux, il n’est pas rare qu’il y ait plusieurs solutions à un problème donné. Par exemple on aurait pu remplacer le mot BABA dans la phrase “BABA is YOU” par WALL pour faire “WALL is YOU”. Et hop ! Ce qui était un obstacle devient... eh bien nous-mêmes ! Et il ne reste plus qu’à déplacer ses grosses fesses de mur sur le drapeau et c’est gagné. On aurait pu également faire une sorte de mot croisé en écrivant BABA is YOU et YOU is WIN pour l’emporter automatiquement.
[Musique 2]
T : En tout cas, raconté comme ça, ça les possibilités ont l’air quasiment infinies ! À la limite de la prise de tête, non ?
C : Eh bien oui et non. Les premiers niveaux sont suffisamment ouverts pour laisser place à des solutions parfois vraiment créatives. En démultipliant les Baba ou les drapeaux par exemple. Du coup, cette complexité apparente est en réalité une boîte à outils avec laquelle on peut vraiment bien s’amuser.
Mais force est de reconnaître que passé un certain stade, le level design est un peu directif. Et on sent que le développeur, le Finlandais Arvi Teikari, à une solution en tête et qu’il veut à tout prix nous la faire trouver. Je comprends la démarche, hein ? Surtout quand on veut relever la difficulté. Mais quand on a la fibre créatrice, on peut parfois se sentir un peu frustré.
Cette liberté-là, on l’avait notamment dans un autre jeu de réflexion que j’adore et qui s’appelle Besiege. Un titre où il fallait créer un véhicule de guerre médiéval avec des tas et des tas d’éléments afin de réussir un objectif donné. Certes, les développeurs avaient certainement une idée en tête quand à la solution optimale pour chaque niveau, mais le fait qu’on puisse sortir une machine des enfers complètement déglinguée qui atteignait vaguement sa cible avant de céder sous son propre poids avait quelque chose de grisant.
T : Vu comme ça, ça me fait penser à Scribblenauts.
C : Oui ! Et je pense qu’une philosophie à la Besieged ou la Scribblenauts aurait pu vraiment réussir à Baba is You. Au lieu de ça, le design des puzzles finit par devenir extrêmement corseté. Tant et si bien qu’il empêche toute velléité de plan B. On DOIT trouver la solution envisagée par le développeur. Cette vision peut malheureusement entraîner un peu de frustration par moment. D’autant que si tu ne vois pas la solution, il est parfois trèèèèès difficile de sortir de son schéma de pensée et on peut rester bloqué très longtemps. Surtout quand il y a une bonne douzaine de règles à l’écran qui te mangent le cerveau.
T : Et il n’y a pas de système d’indices ?
C : Non ! Et c’est fort dommage ! Après, le jeu laisse toujours suffisamment de niveaux accessibles pour qu’on puisse progresser quelque part. D’autant que pour finir un monde, il n’y a pas besoin de faire tous les niveaux. C’est salutaire !
[Musique 3]
T : Bon tout ça c’est bien beau, mais tu ne m’as pas dit s’il est beau, justement, le jeu.
C : Tout dépend ce que tu appelles beau mon cher Thomas, mais en tout cas c’est très mignon ! Un peu comme des petits dessins à la craie sur un tableau noir. Qu’on aime ou pas - moi j’aime beaucoup - ça a le mérite non négligeable d’être extrêmement lisible et c’est bien tout ce qui compte.
Quant aux musiques, vous avez pu les entendre. C’est vrai que les sonorités collent bien à l’ambiance générale du titre, mais elles ne sont malheureusement pas le point fort de Baba is You. Les mélodies ne sont pas forcément des plus inspirées et elles tournent vite en rond. Un peu comme nous quand on ne trouve pas la solution finalement ! Mééééétaaaaaaaaaa ouuuuuuuh tu comprends pas !
T : Bon, en tout cas, malgré les quelques limites, j’ai l’impression que tu recommandes Baba is You ?
C : Sans aucune hésitation. Si vous aimez les jeux de réflexions de qualité et originaux, celui-là coche sans aucune difficulté les deux cases. En plus, il est long, il est parfait pour picorer et même si on finira irrémédiablement par complètement bloquer au bout d’un moment, ça n’arrivera pas avant de longues heures de jeu. Donc, foncez si vous aimez vous triturer les méninges ! AH ! Et pour des raisons évidentes, le titre n’est pas en français, malheureusement. Je trouverais ça dommage de se priver pour cette raison, mais je sais que ça peut-être rédhibitoire pour certains. Je préfère donc prévenir !
T : Très bien ! Baba is You est développé et édité par le studio Hempuli Oy. C’est sur Switch et PC. Le prix est de 12 euros 50 et c’est déjà sorti. Merci Corentin, de nous avoir présenté ce jeu ! C’est vrai qu’il a l’air vraiment intéressant, ce Baba is You…
C : De rien ! Par contre, moi c’est Coco, toujours pas Baba.
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