CORENTIN : Aujourd’hui, Xavier eutrope est venu nous parler d’un feuilleton comme on n’en fait plus aujourd’hui et que Balzac n’aurait sans doute pas renié, un drame médiatique aux répercussions multiples. Ca fait un peu beaucoup là non Xavier ?
XAVIER : Non non t’inquiète pas, continue.
C : Bon donc Xavier veut nous parler de Gawker. Alors Xavier, dis nous, qu’est-ce que c’est, d’où ça vient, quels sont les réseaux ?
X : Eh bien Corentin, toute cette histoire est assez complexe. Le 10 juillet 2018, le groupe médiatique américain et hispanophone Univision annonçait vouloir revendre le groupe Gawker qu’il avait acquis il y a de ça deux ans. Mais pour que tout ceci soit bien clair, il faut faire un rapide retour en arrière.
C : Attends, si je ne me trompe pas, Gawker c’était un site qui diffusait des ragots ?
X : Alors pas tout à fait mais tu n’es pas si loin, nous allons y arriver bien assez tôt, ne t’inquiète pas. Gawker était un site d’information, fondé en 2002 par Nick Denton et Elizabeth Spiers. Il s’est tout de suite focalisé sur les actualités des stars et célébrités, en effet, mais qui s’intéressait aussi de près à l’industrie des médias. Le site a connu une histoire mouvementée, avec un gros mouvement de personnel à certains postes clés, notamment la rédaction en chef. Certains restaient moins d’un an. En quatorze ans d’existence, il y en a donc eu…. quatorze.
C : Ah oui effectivement ça fait beaucoup. Mais qu’est-ce qui explique cette instabilité ?
X : Il y a eu de nombreux changements d’axes éditoriaux, des licenciements à plusieurs reprises, ainsi que des désagréments personnels qui ont provoqué des départs en chaîne. Gawker a enchaîné les scoops, plus ou moins trashs et les provocations à de nombreuses reprises. Et c’est ce qui faisait son succès, mais aussi provoqué sa chute, promis j’y reviens tout à l’heure. Gawker était ainsi devenu une sorte de poil à gratter du web américain, postant des contenus, des vidéos, des communications et autres qui violaient les droits d’auteur ou la vie privée de ses propriétaires. Certains de ces contenus ont très certainement été acquis de façon, disons, douteuses.
C : Au début de ta chronique, tu a parlé de “groupe gawker”, à quoi faisais-tu référence ?
X : Peu de temps après avoir fondé le blog Gawker, Nick Denton crée ce qui deviendra le groupe Gawker Media. Celui-ci aura chapeauté des sites ayant la même structure globale, partageant une esthétique très proche. Les thématiques abordées vont du Sport, avec Deadspin aux Lifehack avec….lifehacker, ça ne s’invente pas. Il y a évidemment Kotaku, pour le jeu vidéo, Gizmodo sur la technologie et Jezebel sur des sujets qui le rapproche de la presse féminine.
C : Un groupe média assez complet en somme !
X : Absolument Corentin. Et il rapportait ! Gawker media avait généré 45 millions de dollars de bénéfices en 2014 selon le site Business Insiders. Ce n’est pas rien !
C : En effet c’est assez conséquent.
X : En fait, pour bien comprendre ce qui a fait tomber l’empire Gawker, il faut d’abord revenir sur quelques unes des affaires qui ont fait connaître le site et le groupe. En 2008, le site avait par exemple remis en ligne une vidéo effacé par l’Eglise de Scientologie dans laquelle on voyait Tom Cruise vanter les mérites du culte. Le site a été menacé de poursuites judiciaires dans le cas où il n’effaceraient pas la vidéo. La vidéo est restée, il ne s’est au final rien passé. Mais ça, ce n’est pas grand chose.
C : Je commence à avoir peur. Mais vas-y continue, je t’en prie.
X : En 2015, Gawker publie un article rapportant qu’un cadre de Condé Nast, groupe média assez influent aux Etats-Unis, faisait appel aux services d’un acteur de films pornogays pour des rapports sexuels tarrifés. Les critiques, à la fois en interne et venant de l’extérieur du site ont été nombreuses, notamment sur le fait que le papier révélait l’homosexualité du cadre en question. Cette histoire a été, cas assez inédit, retirée du site.
C : C’est effectivement assez trash. Mais du coup, quel a été le coup de grâce pour Gawker ?
X : Eh bien je dirais qu’il y a deux choses.
[HULK HOGAN ITW]
On vient d’entendre l’introduction de l’émssion The View d’ABC du 23 mars 2016, où la présentatrice annonce le nom de son invité, Hulk Hogan, qui venait de gagner son procès contre Gawker. En octobre 2012, Gawker publie une sex-tape où l’on voit le showman en compagnie de l’ex-compagne d’une personnalité de la radio américaine. Bollea demande au média de mettre l’article hors-ligne, ce qui ne sera pas fait. Quelques temps après, une juge ordonne à Gawker d’effacer la vidéo du site. Mais encore une fois, le site refuse, s’abritant derrière la constitution des Etats-Unis et son premier amendement, qui garantit la liberté d’expression aux citoyens du pays.
C : Il y a eu un procès par la suite si je ne me trompe pas ?
X : En effet Corentin. Et Hulk Hogan a été soutenu dans ses démarches par Peter Thiel. Le milliardaire, co-fondateur de Paypal, a payé les frais d’avocat du catcheur.
C : Mais pourquoi a-t-il fait ça ?
X : Eh bien, vraisemblablement pour se venger. En effet, Gawker avait révélé en 2007 l’homosexualité de Peter Thiel, bien à son insu. Sale habitude de Gawker sur ce sujet, d’ailleurs. Le miliardaire n’aurait d’ailleurs pas uniquement financé les frais d’avocat de Hulk Hogan, il est tout à fait possible qu’il ait soutenu, indirectement, d’autres plaignant ayant attaqué Gawker en Justice.
[BANQUEROUTE]
C : Quel est le fin mot de l’histoire de Gawker ?
X : A la fin du procès en mars 2016, Gawker se voit condamné à payer 140 millions de dollars de dommages et intérêts au catcheur, dont 10 à la charge de Nick Denton, le co-fondateur du site. Et comme on vient de l’entendre dans l’extrait du journal de ABC NEWS, cela devenait difficile pour le groupe. Peu de temps après, tout en faisant appel de la décision, Gawker Media s’est déclaré en faillite. Le 17 août, Univision rachète l’ensemble des sites… pour la somme de 135 millions de dollars… mais pas Gawker, tandis que six anciens blogs du groupe continuent de fonctionner sous une nouvelle bannière, celle du Gizmodo Media Group, propriété d’Univision, donc. Enfin, aujourd’hui le Gizmodo Media Group est à vendre, donc si vous avez un peu d’argent de côté, c’est le moment….Et très honnêtement, je suis bien incapable de vous fournir la morale de cette histoire.
C : Bon, et si cette histoire vous intéresse, il y a aussi un documentaire sur Netflix intitulé : le “Procès d’une presse libre” qui parle entre autres de cette affaire là. C’est à mon avis un poil brouillon et un peu trop en défense de Gawker (qui n’est pas tout blanc dans cette affaire), mais ça a le mérite de bien résumer les enjeux du procès, entre liberté de la presse et respect de la vie privée. Merci Xavier ! Et à très vite.
L’histoire d’une mauvaise fortune : Gawker
Les restes de ce qui constituait le groupe Gawker s’apprêtent à changer de main. Avec Xavier Eutrope, revenons sur l’une des affaires médiatico-judiciaires les plus importantes de ces dernières années. Une histoire complexe impliquant un site à scandales et un certain Hulk Hogan.
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