L’homme peut-il être véritablement altruiste ?
Corentin : Les 7 et 8 décembre prochain, ce sera la 21ème édition du Téléthon. Une demande de don toujours aussi importante pour les personnes atteintes de maladies rares neuro musculaires et leur entourage. L’occasion pour Angèle Chatelier de se demander si l’homme peut être - au sens philosophique du terme - véritablement altruiste.
Angèle : Vous avez tous entendu ce numéro : 3637. Ne serait-ce quand c’est une Miss France fraîchement élue qui le dit (EXTRAIT 1)
Ici, Delphine Wespiser, Miss France 2012.
Tu le disais Corentin, le Téléthon revient les 7 et 8 décembre. Le Téléthon est un événement qui appelle au don, à la solidarité. Donner un peu d’argent permet d’aider la recherche pour soigner des maladies rares neuro musculaires. Sauf que les promesses de dons au Téléthon ont baissé de presque 5 millions d’euros en un an. Pas de quoi en faire une généralité comme quoi les Français seraient de plus en plus picsous, mais cela interroge sur la notion même d’altruisme. Car pour certaines doctrines philosophiques, l’altruisme, la solidarité, le don, tout cela n’existe pas.
C : Ce serait des actes a priori désintéressés, mais pas vraiment
A : D’où la notion de a priori. C’est la théorie de Kant : toute action est forcément intéressée. Donner un euro à un SDF est en soi, un don, mais vous le feriez pour des raisons égotiques. Dans son ouvrage « Fondements de la métaphysique des mœurs », Kant dit que les âmes éprouvent une satisfaction intime à répandre la joie autour d’elle. L’altruisme serait alors une ruse volontaire. Faire le bien me fait du bien, je le fais donc non pas dans une démarche de satisfaction de l’autre sans arrière-pensée mais en moi et pour moi.
C : Sauf qu’une telle doctrine suppose de connaître les motivations de chaque individu à chaque fois qu’il fait une bonne action. Et ça, c’est impossible
A : Effectivement. Il ne faut pas pour autant remettre en doute l’utilité d’un don au Téléthon, par exemple. Il faut plutôt poser la question en se demandant ce qu’est véritablement l’altruisme, mais surtout le Bien moral.
C’est Auguste Comte qui a mis en lumière la notion d’altruisme dès 1852. Il s’oppose à l’égoïsme en ayant pour précepte la notion de « vivre pour autrui ». Cela permet un sentiment d’appartenance avec la société. On ne vit pas pour soi mais avec les autres. Les Hommes en ce sens, sont interdépendants. (EXTRAIT 2)
Une fois ce précepte posé, tout le monde devrait se sentir bien. Donner au Téléthon est une démarche altruiste, que je peux faire d’une manière intéressée pour moi, certes, mais qui fait de moi un Homme bienveillant envers les autres, donc la société.
C : Mais l’égoïsme est aussi quelque chose de naturel, non ?
A : Il faut pour ça comprendre la différence entre l’égoisme et l’égocentrisme. L’égoiste est indifférent des autres, tandis que l’égocentrique s’intéresse aux autres pour lui-même. Une chose est sûre et évidente : difficile de se passer de nous et de ne pas penser à soi. Mais il est aussi évident que certains pensent plus à eux que d’autres.
En ce sens, l’égoisme, s’il est accepté, doit surtout être bien pensé. Souvenez-vous dans mes précédentes chroniques philo, je vous parlais des stoïciens et de leur démarche vers le bonheur et la sagesse. L’ataraxie, dit-on, en philosophie. La paix de l’âme. Cette démarche s’inscrit dans une seule notion : accepter ce qui ne dépend pas de soi. Dans une telle supposition, il ne faut alors pas mettre en opposition altruisme et égoïsme, mais plutôt se demander à quel point ils peuvent être complémentaires. Comme le rappelle le site « Café Philo », l’indifférence envers autrui est elle aussi une vertu, puisqu’elle témoigne de notre puissance sur nous-même.
C : Pour être un peu trivial, ça peut reprendre un peu l’expression « trop bon trop con » ?
A : Un peu ! Se donner trop aux autres, c’est aussi s’oublier soi-même. Cela me fait penser à la série The Good Place. Une série disponible sur Netflix où l’on suit le quotidien de quatre personnes au paradis, The Good Place, vous l’aurez compris (EXTRAIT 3)
Sans trop vous spoiler, vous verrez qu’à un moment, on y voit un homme, sur terre, qui fait tout pour accéder à The Good Place une fois qu’il sera mort. Il est tellement altruiste qu’il en est malheureux. Et cela n’entre en rien dans la conception stoïcienne qui suppose de rechercher la paix de l’âme, donc le bonheur.
C : Il faut donc trouver un juste milieu, si j’ai bien compris
A : Tout à fait. Partir du postulat kantien de dire que toute action est nécessairement intéressée nous fait une belle jambe. Même si c’est plus compliqué que cela, autant être tous égoïste et vivre en soi. Mais vous l’aurez compris aussi avec Auguste Comte, nous vivons en interdépendance et en société. Et enfin, inutile de dire que nous ne sommes pas égoïstes, par nature. Mais cet égoïsme nous amène aux autres et doit donc être bien pensé.
Evidemment que donner au Téléthon ou à toute autre association est une bonne démarche car vous n’en oubliez pas l’interdépendance des hommes. Mais trop donner, c’est s’oublier aussi. Impossible, en ce sens, d’accéder au bonheur. Et comment rendre les autres heureux lorsque l’on est nous-mêmes malheureux ? On peut donc tempérer son égoïsme intrinsèque pour être avec les autres. Et cela se construit pendant toute sa vie.
C : Merci Angèle Chatelier. Je rappelle que le Téléthon se déroule les 7 et 8 décembre prochain, n’hésitez pas à faire un don, mais sans trop vous oublier, évidemment ! A très vite
Associations caritatives, Téléthon… Peut-on être véritablement altruiste ?
Qu’est ce que ça veut dire, être altruiste ? Faire le bien autour de soi, même si on en récolte les fruits ? Ou bien s’agit-il du concept cherchant à maximiser le bonheur d’autrui quitte à se sacrifier ? En prenant le cas concret du Téléthon, Angèle Chatelier nous parle d’altruisme.
0:00
5:54
Vous êtes sur une page de podcast. En cas de difficulté pour écouter ce document sonore, vous pouvez consulter sa retranscription rapide ci-dessous.