La France et sa liberté de la presse : un couple qui se déchire
Corentin : Des journalistes caillassés, obligés de couvrir les manifestations des Gilets Jaunes avec des gardes du corps… Vu comme ça, on se dit que la liberté de la presse ne vit pas ses meilleurs jours, en France. Mais comment se situe-elle par rapport au reste du monde ? Peut-on parler d’indépendance de la presse française ? Angèle Chatelier fait le point.
Angèle : Les images sont frappantes. Le samedi 12 janvier, alors que les Gilets Jaunes sont en plein dans leur acte 9, une équipe de journalistes de LCI se fait littéralement tabassé par plusieurs d’entre eux. Une honte pour beaucoup
(EXTRAIT 1)
A : On entend ici la journaliste Léa Salamé invitée dans C à Vous.
Cet événement veut-il dire que la liberté de la presse aujourd’hui, en France, est bafouée ? En 2018, la France était seulement 33ème au classement de la liberté de la presse. Un classement réalisé chaque année par Reporters sans Frontières. Si les critères ont évolués au début de la décennie, ils sont néanmoins multiples : le pluralisme, l’indépendance des médias, l’environnement et l’autocensure, le cadre légal, la transparence, les infrastructures et enfin, les exactions.
Mais la place de 33ème sur 180, c’est un record pour la France. Nous allons voir pourquoi.
C : L’année dernière, la France était 39ème au classement, 45ème en 2016. Plus on remonte dans le temps et pire c’est ! Comment expliquer ça ?
A : Il faut tout d’abord commencer par le contexte. Le précédent classement avait été fait, lui, en pleine campagne et élection présidentielle. Moment où les médias et journalistes français ont fait l’objet d’invectives violentes, voire même de menaces de morts à cause des révélations qu’ils ont faites.
C : Le Canard Enchaîné, pour ne citer que lui. - Rends l’argent, Fillon !
A : Entre autre, effectivement. Des journalistes persona non grata dans les meetings, face des refus d’accréditations, hués, sifflés, aussi.
C : Mais, 39è, c’était encore mieux que l’année d’avant.
A : Oui, mais cela s’explique très nettement. Le classement 2016, où la France était à la 45ème place, tient sur l’année 2015. Et on se souvient tous de ce qu’il s’est passé le 7 janvier
(EXTRAIT 3 mashup attentat Charlie Hebdo)
Les attentats de Charlie Hebdo, la haine assassine envers des journalistes.
C : Il y a aussi deux problèmes plus globaux qui expliquent que la France est une mauvaise élève : le premier, c’est que car la plupart de ses titres, radios et télés appartiennent à de grands dirigeants
A : Le Parisien à Bernard Arnault, Le Figaro au groupe Dassault, Europe 1 et le JDD à Lagardère, Libération à Patrick Drahi. Sans parler de Vincent Bolloré à qui appartient Canal, CNEWS et C8. Christophe Deloire, le président de Reporters Sans Frontières, avait d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme sur ce géant, déclarant : « Vincent Bolloré n’a jamais caché son intention de peser sur les contenus éditoriaux des médias propriétés de son groupe Vivendi ».
Difficile de parler d’indépendance de la presse française dans ces conditions.
C : L’autre problème et ce pourquoi la France est si mal classée depuis des années, c’est ce fameux « mediabashing » mis en place par les politiques, et plus récemment par les Gilets Jaunes
(EXTRAIT 3)
Allez, un petit dernier pour la route
(EXTRAIT 4)
A : Si la campagne présidentielle a été violente pour les journalistes, la liberté de la presse, elle, a été bafouée dès l’élection d’Emmanuel Macron par un symbole fort. Le chef de l’Etat propose alors de faire déménager l’espace de travail des journalistes à l’Elysée.
C’est Valéry Giscard d’Estaing qui avait ouvert un espace pour les journalistes sur la cour d’honneur, en 1984. Dans un souci de transparence. Dès son élection, Macron annonçait vouloir déménager les journalistes, à « deux minutes à pieds », je cite, de l’Elysée. Ce qui avait provoqué un tollé sans nom.
C : « Il y a des privilèges qui tombent » avait même dit à l’époque le service de presse du chef de l’Etat
Le privilège d’informer sur la politique du gouvernement, visiblement. Face à ce tollé, cette décision avait été reportée mais elle revient sur la table aujourd’hui.
Et ce n’est pas la seule décision qu’a pris Emmanuel macron concernant la resse. En novembre dernier, le parlement a adopté la proposition de loi antifake news. Une loi dont il est difficile de définir les contours. Elle a pour but de lutter contre les fausses informations, en proposant notamment un candidat, un parti ou des associations de retirer de fausses nouvelles sur les réseaux sociaux en période d’élection. Le CSA pourra aussi suspendre la diffusion de services de télévision contrôlés par un état étranger ou sous l’influence, je cite. Beaucoup craignent de la censure et une atteinte a la liberté de la presse.
C : Résultat, avec tout ça, la France est aujourd’hui classée 33ème dans le classement mondial de la liberté de la presse
On voit donc qu’il y a eu des progrès depuis l’année dernière mais avec la crise des Gilets Jaunes, il reste fort à parier que le prochain classement ne sera pas flatteur pour nous.
C : Espérons quand même que la situation s’améliorera. Merci Angèle pour ce triste constat, et à très vite.
La liberté des médias en France : un problème qui presse !
Entre les politiques qui n’hésitent pas à la critiquer, le grand public qui ne lui accorde pas sa confiance et son indépendance économique remise régulièrement en question : la presse… n’a pas bonne presse ! Avec la parution du Classement mondial de la liberté de la presse 2018 par Reporters sans frontières, Angèle Chatelier essaye d’analyser où l’Hexagone en est sur cet enjeu d’importance.
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