Que reste-t-il du magazine les Inrocks ?
Corentin : Palier la baisse de 8% de diffusion en un an, rendre honneur au nouveau design et revenir peu à peu à la culture, ce sont tous les défis qui attendent Jean-Marc Lalanne, fraîchement nommé nouveau directeur de la rédaction du magazine musical d’anthologie, les Inrocks. Alors que le journal peine à retrouver son identité et ses lecteurs, Angèle Chatelier s’interroge : que reste-t-il du magazine les Inrockuptibles ?
Angèle : Année 1986. Sortie de l’album Master of Puppets de Metallica. De l’opus The Queen is Dead des Smiths, de la séparation du groupe Téléphone, ou encore de la sortie du titre The Final Countdown d’Europe (EXTRAIT 1)
L’année 1986 fut rock n’ roll. Tant dans la musique que dans la presse papier. C’est là que naquit celui qui fut pendant longtemps LE magazine de référence sur le thème de la musique, les Inrockuptibles. Le numéro 1 parait en mars 1986. En couverture, Chris Isaak (EXTRAIT 2)
Mais patatra. Plus de 30 ans après la sortie du premier numéro, les Inrocks ne se portent pas très bien ; au point de signer en mars 2018 une rupture conventionnelle collective et d’atteindre désormais difficilement les 33 000 exemplaires vendus par semaine. Que s’est-il passé ?
C : Les Inrocks ont d’abord eu une belle ascension
A : D’abord distribué dans quelques boutiques « branchées », comme le raconte Serge Kaganski, l’un des fondateurs des Inrocks, le magazine devient mensuel dès 1992. Il continue cependant à être disponible seulement dans les associations culturelles et disquaires.
C’est à partir de 1995 que les Inrocks deviennent ce que l’on connaît de lui aujourd’hui : un magazine rock, qui parle des tendances musicales mais aussi de cinéma, de littérature et de société.
C : Peu à peu, le magazine devient une référence. De nombreux artistes en font la couverture
A : Patti Smith, Massive Attack, Dépêche Mode ou encore Lana Del Rey (EXTRAIT 3)
Les Inrocks devient aussi, non plus seulement un magazine, mais un festival un part entière. Le Festival des Inrocks qui a lieu chaque année vers le mois de novembre, à Paris. On y découvre des pépites culturelles, des artistes à découvrir ou de grosses têtes d’affiches. Pendant de nombreuses années, les Inrocks sont LES dénicheurs de talents grâce au festival les Inrocks Lab qui naît en 2003. De jeunes artistes s’inscrivent aux concours et des soirées ont lieu dans toute la France pour récompenser celui qui sera le gagnant du prix Inrocks Lab. On compte parmi eux Cocoon, Feu Chatterton ou Griefjoy (EXTRAIT 4)
Pourtant, dès 2010, les inrocks se transforment plus en newsmagazine qu’en magazine musical à part entière. Cela fait un an que Mathieu Pigasse, aussi dit le « banquier de gauche » qui a racheté l’hebdomadaire. Il détient alors plus de 77% des Éditions indépendantes, la société éditrice des Inrockuptibles.
Dès 2010, donc, on trouve non plus seulement des interviews d’artistes ou des recommandations culturelles mais aussi des papiers société et politique. Depuis, ils sont nombreux à avoir fait la couverture : François Ruffin ou Audrey Pulvar, pour ne citer qu’eux.
En un an, le magazine passe de 35 000 à 55 000 ventes. C’est en 2013 que tout explose : le magazine se stabilise à seulement 36 000 exemplaires vendus.
C : Est-ce à cause de cette nouvelle ligne éditoriale ?
A : Difficile effectivement, de se faire une place dans la presse écrite française quand on n’a pas une ligne éditoriale bien définie. Les inrocks sont-ils un magazine de société, un magazine culturel, ou bien un peu des deux ?
Autre explication d’une telle baisse des ventes : la succession de quatre directeurs de la rédaction en six ans. Notons aussi que les Inrockuptibles ne sont pas les seuls à subir une baisse drastiques de leurs abonnements ou de leurs vente. On assiste bien là à une crise de la presse globale que vous connaissez.
C : Alors il faut innover ou bien… revenir à ses origines.
A : « Quel est notre fil directeur ? », s’interroge Pierre Siankowski en 2017, alors directeur de la rédaction. « La prescription », dit-il. « Nous sommes le magazine qui découvre ceux qui feront l’actualité demain. Arcade Fire, Stromae, Philippe Katerine… Les Inrocks les ont mis en couverture avant tout le monde. Nous devons réaffirmer cette identité », déclare-t-il au Figaro.
Hop, ni une ni deux, Les Inrockuptibles changent drastiquement de formule. Un magazine qui se veut plus élégant, plus chic avec un retour aux sources : celui de la musique (EXTRAIT 5)
Arcade Fire est en Une et le contenu se veut plus culturel que politique. Nous sommes en août 2017, soit deux mois avant la pire polémique qu’ait pu connaître le magazine.
C : Celle concernant Bertrand Cantat.
A : Souvenez-vous : en octobre 2017, les Inrocks font le choix de mettre en Une Bertrand Cantat, leader émérite de Noir Désir, soit, mais aussi pour le meurtre de sa compagne, Marie Trintignant en 2003. C’est la débandade : chacun fustige ou non à sa façon cette Une et surtout ce choix : mettre en avant un artiste meurtrier, en pleine vague Me Too par dessus le marché. Les Inrocks perdent sensiblement de crédibilité à ce moment-là, tant la polémique fait rage : citoyens, journalistes, lecteurs… chacun à son mot à dire.
C : Une nouvelle rubrique fait aussi parler d’elle
A : « Où est le cool ? ». Des pages shopping comme celle-ci, on en trouve dans de nombreux magazines mais Mathias Reymond, maître de conférences en sciences économiques et co-animateur d’Acrimed note une différence dans celles des Inrocks. Avec son association de critiques des médias, Acrimed pour Action critique Médias, il reproche au magazine de s’adresser à un lectorat ayant un niveau de vie assez élevé. Les produits présentés sont chers et peu accessibles. Être cool, serait-ce être riche ?
Plus globalement, on peut reprocher aux Inrocks son manque d’accessibilité : une personne passionnée de culture pourrait se sentir un peu délaissée dans les pages élitiste du magazine. Mais soyons patients : la nouvelle formule des Inrockuptibles n’a même pas encore deux ans. C’est jeune pour savoir si l’équipe a eu raison de revenir ou non, à ses origines : la culture, et surtout la musique.
C : C’est effectivement de nombreux défis qui attendent Jean-Marc Lalanne
A : Mais il connaît la maison : avant de succéder à Pierre Siankoswi, il était rédacteur en chef culture du magazine depuis 2003, rappelle Libération. Il est aussi chroniqueur cinéma au « Masque et la plume » sur France Inter.
Pierre Siankoswi lui, aurait quitté le magazine pour se consacrer à de nouveaux projets.
Le magazine les Inrocks, donc, est pour le moment encore bien là. Mais la concurrence est rude et l’avenir incertain.
C : Merci Angèle Chatelier d’avoir fait la lumière sur l’histoire du magazine d’anthologie, les Inrockuptibles. Et en musique, forcément ! A très vite
La lutte des « Inrocks » pour enfin revenir dans le coup
Au fil des années, « Les Inrockuptibles » ont su se faire un nom dans le domaine de la presse culturelle. Pourtant, après une excursion vers le généraliste et quelques polémiques, voilà que le magazine se cherche désespérément un nouveau souffle. Voyons comment il peut y parvenir avec Angèle Chatelier.
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