Corentin : Carnet noir, plus précisément : carnet noir médiatique. C’est une longue agonie qui vient de se terminer pour la chaîne Nolife. La chaîne de télévision étant le sanctuaire de geeks et des fans de pop-culture japonaise, c’est Benjamin Benoit qui vient nous en parler. Salut Benjamin.
Benjamin : Salut à tous. Hélas oui, très mauvaise nouvelle mais nouvelle très prévisible puisque la chaîne de télévision Nolife cesse d’émettre le 8 avril pour passer en case liquidation judiciaire, incapable de rembourser une dette qu’elle traîne depuis trop longtemps. La chaîne a commencé sa vie le premier juin 2007. Avec un budget mensuel qui dépasse à peine les trois chiffres, elle a rencontré très vite de grandes difficultés financières deux ans plus tard. Ce qui l’a poussée à développer une offre d’émissions à la demande sur Internet, et tout ira mieux pour quelques temps, surtout grace à la société Ankama et ses billes... les premiers relevés Mediamétrie font du bien à la chaîne, les annonceurs arrivent. Puis ils repartent. Cela faisait presque deux ans que la chaîne devenait moribonde, elle a du licensier le coeur de son staff : à savoir les journalistes jeux vidéo. Un redressement judiciaire plus tard, Nolife vit de briques et de broques. Mais voilà, cette fois c’est fini et bien fini : apu. Le 1er avril 2018 - euuuh oui écoutez la chaîne a un long passif avec les poissons d’avril - son président nous l’annonce et ce n’est pas une blague.
[SEB RUCHET POINT FINAL SUR NOLIFE]
C : Ce qui nous mène à la question : Nolife c’était quoi, et pourquoi cet émoi sur les réseaux sociaux suite à cette annonce ?
B : Pardon pour cette mise en avant, mais je vais vous demander de rentrer dans ma tête. Disons que vous êtes un geek et que les trucs qui vous passionnent sont des sous-cultures peu exploirées dans le mainstream, ou des choses qu’il est encore peu facile d’admettre, donc de discuter. Ca vous passionne, vous consommez, pensez et discutez tout ça, mais un peu tout seul. “Ca”, ce sont les jeux, les animes, les idoles, la J-Music. Au tournant des années 2000, pour les chanceux qui ont TPS ou Canal Satellite, on peut se rediriger vers la chaîne Game One - dont un énorme conflit d’intéret avec son investisseur, Infogrammes, fait fuir le coeur de l’équipe. La chaîne, appréciée de son public, est immédiatement devenue l’ombre d’elle-même. Tu vois peut-être ou je veux en venir : notamment pour ce public-là, Nolife a été l’arrivée d’un nouveau sanctuaire, d’un rendez-vous de passionnés.
C : Ce qui nous mène le 1er juin 2007, date de lancement de Nolife.
B : L’histoire de la chaîne est narré dans le livre Nolife Story - elle est fondée par le Yalta d’une génération d’Otakus, qui se sont tous croisés lors de conventions-clé pour le milieu lors de la fin des années 90. Vous avez plein de lectures pour appréhender ça, mais ce qui est important ce sont les gens à la base de ce projet. Le président Sébastien Ruchet, le réalisateur Alex Pilot, Cyril Lambin, Caroline Segarra, Thierry Falcoz, tous ont une vision et veulent créer une chaîne dédié à la pop-culture japonaise. L’astuce a été de pitcher au CSA une chaîne musicale, qui remplit donc un quota de clips, en majorité de pop-japonaise. Nolife rend visible ce qui ne l’était pas du tout sur le paf : le jeu vidéo, les jeux de rôle, les mangas. Pour les passionnés, l’apparition de la chaîne est salutaire, qui a toujours cultivé un lien étroit avec son public. Et ce au travers d’émissions emblématiques comme Chez Marcus ou 101%. La chaîne aura herbergé une kilotonne de pastilles de fiction au niveau euuuuh variable, mais quand c’était bien, c’était bien. De nombreuses personnalités de ce monde y sont passées d’une manière ou d’une autre... et les deux personnes autour de cette table aussi, d’ailleurs.
[Un extrait sonore]
C : C’est un petit monde, c’est sûr. Tu parlais du Yalta des otakus, Nolife deviendra surement celui d’une génération de geeks.
B : À leur échelle, c’est sûr. Mais Nolife, c’est une légitimité, acquise avec le bushido, la voix du guerrier, en l’occurrence celle du média indépendant et d’un paysage propice en 2007. Les boxs ADSL fleurissent, la diffusion est abordable. La suite... a été plus compliquée. Mais le public a toujours été un minimum au rendez-vous : en 2015, Sébastien Ruchet m’a affirmé avoir un million de spectateurs par mois. Bon, dans le dernier rapport Mediametrie, la chaîne est avant-dernière devant l’obsur Trek. C’est peut-être ça le problème : les spectateurs de Nolife ont toujours été ceux de 2007, et dix ans plus tard, pas mal ont quitté le navire. Mais Nolife, c’est aussi une mentalité : un tout petit coté amateur - oui c’est très péjoratif mais je pense que même eux le revendiquerait, c’est plus une question de moyens que de compétences - mais aussi une rigueur est une transparence extrême, parfois un peu bizarre. C’est cette fraîcheur qui a toujours plu, même si le coté alarmiste de la communication de la chaîne énervait un peu depuis plusieurs années. Bon, bah là, nous y sommes.
C : Il n’est pas exagéré de dire que Nolife est un objet de passionné pour passionnés.
B : C’est ça, et dix ans... presque onze ! C’est déjà un sacré bout de temps. Cette chaîne a lutté jusqu’au bout : mise en place d’un abonnement online, partenariat avec le logiciel Molotov qui diffuse la chaîne en ligne, allégement des équipes, trois déménagements. On lui a coupé les bras et les jambes, maintenant c’est la tête qui y passe. Et comme tout le monde, bah je suis triste. C’est une partie de mon monde médiatique qui s’en va, et c’est la seule qui parle aussi frontalement de ces passions, sans aucun mépris ou condescendance. Nolife, ce sont des personnalités, des délires, quelques moments de bravoure dont les émission anniversaire, et bientôt un grand vide sur la télé. Encore une fois, Internet a tout cassé. Les otakus pour qui la chaîne a une place toute spéciale sont très nombreux, et ça fait une dizaine d’emploi restants qui disparaissent. « Ce qu’on a fait pendant onze ans sur Nolife, c’est quelque chose qui, normalement, c’est pas possible, a déclaré Sébastien Ruchet sur Le Monde. Nolife, c’était « un rêve de gosse, monté par une bande d’amis, comme on pouvait lancer un fanzine dans les années 70, une radio en 81, un site web collectif à la fin des années 90. », comme le disait Libération. Je vous embrasse fort et bonne chance pour la suite.
C : Je sors un peu de ma neutralité, mais je suis également très attristé de la fin de cette belle aventure. Eh, 11 ans quand même ! Quelle performance. Quand on sait qu’ils n’étaient pas sûr de tenir 6 mois au départ, on peut dire que le bilan est extrêmement positif au final. Sébastien Ruchet, Alex Pilot et tous les autres peuvent être fiers d’eux. Merci Benjamin pour ce “dernier point extérieur” sur Nolife si j’ose dire. Et à la bientôt.
Nolife s’arrête : no future, no regrets
La chaîne Nolife a annoncé le 1er avril dernier son arrêt définitif. Lancée en 2007, elle représentait un pionnier dans le traitement des sujets jeux vidéo et culture japonaise à la télévision. On revient sur onze années d’aventures et de galères avec Benjamin Benoit.
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