CORENTIN : Bonjour à toutes et à tous ! Aujourd’hui, Xavier semble extrêmement optimiste et de bonne humeur ! Je vous lis la première phrase qui apparaissait dans son mail pour me proposer son sujet “sommes nous tous foutus ? c’est vraiment très probable, mais je crois que ça ira pour la Finlande”. Alors dis-nous Xavier, qu’est-ce qui se passe ?
XAVIER : Ah Corentin, je suis vraiment extrêmement content que tu me poses la question, et je vais y répondre. J’ai lu il n’y a pas longtemps un article d’Eliza Mackintosh publié sur le site de CNN et qui s’intitule “Finland is winning the war on fake news. What it’s learned may be crucial to Western democracy”. Ce que l’on pourrait traduire par “La Finlande est en train de gagner la guerre contre les infox. Ce que le pays a appris pourrait bien être crucial pour les démocraties occidentales.”
C : Ah oui les fake news je connais, moi personnellement je ne me laisse pas avoir, je suis assez malin et c’est impossible de me tromper, je peux te le dire.
X : oui ok d’accord. Eh bien cet article est extrêmement intéressant Corentin. Il explique par le menu comment le pays nordique réussit à combattre efficacement ce phénomène dit des “fake news”. Sauf que ce n’est pas nécessairement, je trouve, porteur de bonne nouvelle pour nous tous.
C : ok vas-y illumine nous de ta science monsieur l’expert, on t’attend là. Bon d’ailleurs, je suis pas sûr de comprendre ce que tu veux dire.
X : Tout d’abord, il faut avoir conscience que la Finlande a une histoire particulièrement compliquée avec la Russie, dont elle a fait partie pendant plus de cent ans. Et aujourd’hui, de nombreux éléments laissent penser que directement et/ou indirectement, la Russie tenterait de déstabiliser les démocraties dites occidentales via des campagnes de désinformation. Les Finlandais ont donc, de ce fait, mis en place des programmes assez ambitieux depuis quelques temps pour former les différentes classes d’âge à la compréhension du circuit de l’information. Mais cela concerne aussi la maîtrise des techniques de vérification de l’info. Et pour construire tout ça, ils ont fait appel à des experts internationaux.
C : D’accord je vois, donc il y a des cours destinés aussi bien aux adultes qu’aux plus jeunes pour se défendre face à la désinformation. C’est plutôt une bonne chose ça, non ?
X : oui absolument ! c’est une très bonne chose. Un chiffre donné dans l’article est particulièrement révélateur sur ce sujet. Selon l’Open Society Institute, la Finlande aurait le meilleur taux de “media literacy” en Europe. Sur une échelle de 0 à 100, il est là-bas de 76, contre 56 en France.
C : la media literacy ? Qu’est-ce que c’est que ce terme barbare ?
X : La media literacy est un concept compliqué à traduire, mais probablement que le meilleur terme à peu près équivalent est “éducation aux médias”. L’indice que j’ai évoqué juste avant est construit à partir de plusieurs éléments distincts : le niveau de liberté de la presse selon plusieurs ONG, dont reporter sans frontières, les scores aux tests internationaux PISA en lecture, science et maths, la part des habitants qui ont un diplôme universitaire, et la confiance que les habitants du pays en question accordent aux autres en général. Globalement sur tous ces critères, notamment sur la lecture, la Finlande dépasse tout le monde. Mais aussi, les finlandais font confiance à leurs médias.
[EDUCATION]
C : j’ai l’impression que c’est un pays vraiment très particulier, aussi, sur des tas de choses, notamment au niveau social. Ca doit faire une différence aussi, non ?
X : oui absolument, la Finlande est un pays spécial. Les finlandais sont les personnes plus heureuses au monde. Leur pays est parmi les plus transparents, la justice sociale y règne et l’égalité entre les genres bien plus solide que dans bien des pays. Ce sont très probablement des facteurs qui font que les citoyens finlandais ne sont pas tentés de croire aux fake news ou de relayer ces fausses informations.
C : bon bah c’est super ça ! bonne nouvelle ! on sait comment faire alors : il suffit de copier comment les finlandais font et paf c’est dans la poche !!! bah Xavier pourquoi tu fais cette tête-là, tu devrais être content non ?
X : bah, comment dire. Je suis super content pour les finlandais, vraiment. Mais tout ce que je viens de dire, si c’est très bien pour eux, ne me donne pas vraiment confiance pour la suite des événements dans le reste du monde, et notamment en France.
C : je serais tenté de dire que tu es très pessimiste voire fataliste mais bon tu dois avoir de bonnes raisons, explique moi tout ça.
X : Déjà revenons à l’éducation aux médias, que nous avons évoqué tout à l’heure. Cela consiste à enseigner comment fonctionnent en gros les médias, faire la distinction entre les bonnes et mauvaises sources d’infos, et tout un tas d’autres éléments. Cela peut aussi toucher plus largement à l’analyse de l’image, sa compréhension, quelque soit la forme qu’elle prend. Bon. Eh bien en France, il y a des choses qui sont faites, mais elles sont à mon sens bien insuffisantes. Depuis pas mal de temps, les profs documentalistes sont mis à profit sur ce front. A un niveau plus global dans l’éducation nationale, il y a eu un réveil après les attentats qui ont touché le pays dès 2015. Mais on ne s’intéresse qu’aux plus jeunes, pas aux citoyens plus âgés, ce qui rend les choses un peu déséquilibrées.
C : Oui je vois. Mais j’imagine que c’est quelque chose qui est gérable ça non ?
X : en fait j’ai du mal à voir les choses positivement, surtout lorsque je vois les débats qui entourent les fake news et le fact checking chez nous. Notre première solution face au problème de la désinformation, des infox, a été de faire la loi anti-fake news, qui est extrêmement difficile à appliquer et qui pose beaucoup de problèmes. Au-delà de ça, il y a une utilisation abusive du terme fake news, qui fait qu’il est compliqué d’avoir une réflexion sereine sur ce sujet. Au final, j’ai le sentiment qu’en France, et pas mal d’autres pays, on ne sait en réalité pas trop de quoi on parle lorsque l’on évoque le terme “fake news”, ce qui complique les discussions et la recherche de solution.
C : Je crois que je vois où tu veux en venir. En gros, tu dis que regarder ce qu’il se fait en Finlande, c’est bien, mais que c’est difficilement réplicable en France parce que, fondamentalement, nos pays sont extrêmement différents ?
X : oui, c’est en gros ce que je dis. En fait, je dirais surtout que les fake news et leur effet potentiel sur les populations sont un signe qu’il y a beaucoup de choses qui ne vont pas dans les pays en question. Alors effectivement, lutter contre celles-ci directement, il faut le faire. Mais ce que cet article nous enseigne, c’est qu’il est aussi nécessaire de regarder au-delà de ça, de s’intéresser aux racines, aux raisons profondes qui rendent tout cela possible. Il faut voir cela comme un travail, un effort global, qui doit inclure toutes les classes d’âges et toutes les catégories sociales. Cela nécessite aussi, notamment, de regarder avec précision ce qui cause le manque de confiance des français dans leurs médias.
C : Vaste programme. Merci Xavier pour ce point sur les fake news et comment lutter contre elle, et à très vite !
Pour lutter contre les fake news, la Finlande garde la tête froide
La Finlande est un pays exemplaire en ce qui concerne l’éducation aux médias et la lutte contre les « fake news ». Pour assainir notre rapport à l’information, ne pourrions-nous pas importer ce modèle finlandais en France ? Xavier Eutrope nous explique que les choses sont peut-être un peu plus compliquées que ça.
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