Corentin : Ah ben tiens, c’est pas souvent que tu viens nous parler de musique, Thomas. Qu’est-ce qui t’amène à aborder cette thématique aujourd’hui ?
Thomas : Ce qui m’amène, c’est la sortie le 1er février 2019 de ce morceau frais comme du beurre :
[01 - doin it.mp3]
Il s’agit de Doin’ It, le dernier single en date du rappeur Big Boi, en featuring avec un de ses acolytes préférés, Sleepy Brown.
Corentin : Et pourquoi donc tu nous parles de ça, à part l’actualité du morceau ?
Thomas : Eh bien parce que c’est l’occasion de parler non seulement de la carrière solo de Big Boi, mais aussi du célèbre groupe qu’il a formé avec le rappeur André 3000, Outkast, et par extension de toute la scène rap d’Atlanta et du sud des Etats-Unis.
Corentin : Ca fait beaucoup de choses, donc commençons par le plus simple : qui est Big Boi ?
Thomas : Big Boi est le nom de scène d’Antwan Patton, rappeur, auteur, acteur et producteur américain basé à Atlanta. Il rencontre son compère André 3000 au début des années 1990, alors que les deux sont lycéens à la Tri-Cities High School. C’est un établissement public spécialisé dans les arts visuels et scéniques, qui a également accueilli les membres du quartet R’n’B Xscape ou encore le comédien Kenan Thompson que les spectateurs de SNL connaissent bien. A l’époque de leur rencontre, l’intérêt du jeune Antwan pour le hip-hop se développe, et avec André, ils s’affrontent lors de battle de rap à la cafétéria. En 1992, ils forment Outkast.
Avec ce groupe, Big Boi va accumuler les tubes, les plus connus étant Elevators, Rosa Parks, B.o.B, Ms. Jackson, The Way You Move ou encore Morris Brown, parfait pour mettre du soleil dans votre vie les jours de pluie.
[02 - morris brown.mp3]
En parallèle de sa carrière avec Outkast, et d’un commun accord avec André 3000, Big Boi commence une carrière solo, sous-entendue dans le double album d’Outkast Speakerboxxx/The Love Below, où les membres du duo avaient droit à un disque chacun. En 2005, il produit d’abord deux mixtapes avec les membres du label Purple Ribbon Records. Puis en 2010, il se lance dans le grand bain avec son premier album, Sir Lucious Left Foot: The Son of Chico Dusty. Il sera suivi d’un deuxième en 2012, Vicious Lies and Dangerous Rumors, et enfin d’un troisième en 2017, Boomiverse. Sur cette dernière galette, il réalise un pari osé en utilisant des samples de Hatsune Miku…
Corentin : Le personnage de Vocaloid, qui est un logiciel de synthèse vocale utilisé pour faire de la musique.
Thomas : Voilà, Hatsune Miku, dans le morceau Kill Jill.
[03 - kill jill.mp3]
Corentin : Des basses bien fat, ma foi ! Et donc du coup, tu voulais aussi profiter de ce nouveau single de Big Boi pour parler du rap sudiste, notamment à Atlanta. Pourquoi, il y a des spécificités ?
Thomas : Oui, et pas qu’un peu ! Et pour le comprendre, il faut remonter aux années 1990. A cette époque, il y a deux scènes rap principales aux Etats-Unis : la côte Est et la côte Ouest. Les artistes hip-hop du Midwest, des Grands Lacs ou du sud des Etats-Unis sont quasiment invisibles. Pour réagir à cet état de faits, les rappeurs du Sud (du Texas, du Tennessee, de Géorgie, de Louisiane, de Floride…) ont créé leur propre scène, où ils tournaient dans leurs Etats et distribuaient leur musique via leurs propres labels.
Rapidement, un style musical régional émerge, avec des basses très amplifiées, comme tu l’as souligné, et des productions assez extravagantes puisant tant dans la musique d’église que dans des influences latino-caribéennes. Dans le domaine, la Géorgie sort du lot, grâce à la scène d’Atlanta, très active. Et le meilleur groupe d’Atlanta de l’histoire, c’est tout simplement Outkast.
En 1995, alors que le conflit entre côte Est et côte Ouest bat son plein aux Etats-Unis, Outkast se distingue en remportant le prix du meilleur nouvel artiste lors des Source Awards, une cérémonie qui récompense le meilleur du rap de l’année. Dans le public, il y a la crème du hip-hop de l’époque : le Wu-Tang Clan, Notorious BIG, Salt’n’Pepa, Snoop Dogg, Dr Dre… Et la plupart du public huent ces deux gamins qu’ils ne connaissent pas, alors qu’ils montent sur scène. Big Boi demande à André ce qu’il pense de tout ça. Ce à quoi André 3000 répond :
[04 - source 1995.mp3]
C’est toujours la même chose. J’en ai marre de tous ces esprits fermés : c’est comme si on avait une démo, mais personne qui ne veut l’écouter chez vous. Mais voilà, on est là : le sud à quelque chose à dire. Voilà tout ce que j’ai à dire.
Corentin : Ah oui, quand même, débarquer et lâcher ça devant une salle remplie de légendes alors que tu as à peine 20 ans, c’est quand même assez gonflé.
Thomas : Certes, mais on ne pouvait prononcer de paroles plus prophétiques, parce qu’à partir de ce moment, la carrière d’Outkast va décoller, entraînant dans son sillage le rap sudiste, des UGK à Ludacris en passant par Three6Mafia et Lil’ Jon. Le monde va découvrir le Dirty South et tous les genre de rap qu’il a et va créer, du crunk à la trap en passant par les remix chopped and screwed pour buveurs de sizzurp.
Aujourd’hui, le rap d’Atlanta est partout, grâce à Migos qui a popularisé les triplets qu’on entend dans tous les morceaux de rap d’aujourd’hui, Childish Gambino qui a remporté le Grammy Award de la meilleure chanson de 2018, ou encore 21 Savage, même si manifestement, c’est un ressortissant britannique.
Tout ça a été rendu possible grâce à André 3000 et Big Boi. Et ce dernier, bonhomme, reste le même, à sortir des tracks festives qui font danser et d’autres moins festives qui font réfléchir, sur des productions invraisemblables mais terriblement addictives. La release de Doin’ it annonce, je l’espère, un nouvel album bientôt.
Corentin : Eh bien c’est tout ce que je te souhaite. Et puis quelqu’un qui produit de la musique en intégrant du Vocaloid ne peut foncièrement pas être mauvais. En tout cas, merci Thomas pour ce récapitulatif de la carrière de Big Boi et ce retour sur le rap du sud des Etats-Unis. A bientôt !
Thomas : A bientôt !
Big Boi : le rap sudiste qui ne perd jamais le nord
Dans le domaine du rap états-unien des années 1990, il était courant de prendre parti entre la côte est et la côte ouest, alors en violente rivalité. Mais c’est sans compter sur un rap du Sud, un peu sous les radars, et qui a finalement su également s’imposer ! Thomas Hajdukowicz va nous parler de Big Boi, un de ses plus illustres représentants. En effet, ce dernier vient tout juste de sortir un nouveau single.
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