M : Je ne sais pas pour toi Corentin, mais je me souviens très bien de ma dernière fête de la musique, celle de juin 2018.
C : Ah ? Tu avais fait des concerts sympas ?
M : Eh bien pas du tout. J’étais allée me faire un cinéma avec une amie, puis j’étais rentrée chez moi faire une magnifique nuit blanche au son du stand de reggae en bas de chez moi. S’ils nous écoutent ce matin, je ne les salue pas. Bref, je n’ai pas passé une bonne fête de la musique, mais dès le lendemain, je me suis dit que j’aurais dû passer ma soirée à l’Élysée.
C : À l’Élysée ? Genre, chez Emmanuel Macron ?
M : Eh oui, car c’est là-bas qu’a eu lieu la meilleure soirée de la Fête de la musique 2018. Ce soir-là, l’Élysée avait invité Kiddy Smile. Et ça donnait ça :
EXTRAIT 1
C : Ah oui, de la bonne house comme on aime. Un peu surprenant d’entendre ça à l’Élysée non ?
M : Très surprenant mais bon, le gouvernement Macron a du flair en communication, il faut au moins lui accorder ça. Ce qu’on vient d’entendre, c’est le morceau I’m Fly, de Donaeo. Ce soir-là, c’est l’invité, le DJ Kiddy Smile, qui régale. En l’invitant, l’Élysée a voulu se positionner en soutien à la communauté queer et afro. Car Pierre Hache, de son vrai nom, en est un artiste majeur. gé de 32 ans, il est basé à Paris et est issu de la scène “ballroom”, qui regroupe des troupes de danseurs gay et transgenres, souvent issus de minorités ethniques.
C : Mais ce n’est pas pour sa musique qu’on a retenu son set à l’Élysée.
M : Le soir-là, Kiddy Smile porte un T-shirt avec la mention “Fils d’immigré, noir et pédé” au recto, et au verso, ce message : ”Avec la loi asile et immigration, je n’existerais pas”. Le message est clair et fait le tour des médias. Kiddy Smile suscite aussi l’événement en invitant son crew de danseurs fabuleux, qui maîtrisent le voguing, cette danse chérie de la scène LGBT, où on bouge principalement les bras avec des gestes saccadés et dramatiques.
C : La soirée ne passe pas inaperçue.
M : Marine Le Pen tweete une vidéo de la performance avec la mention “À l’aide”, suivie d’un emoji effaré. Des gens choqués, posent la question : “C’est ça la culture en France maintenant ?”, avec de bons relents racistes et homophobes derrière. Sur le plateau de Quotidien début septembre, Kiddy Smile confie avoir été surpris et effaré du déferlement de messages insultants, racistes et/ou homophobes, postés à son propos à la suite de son set à l’Élysée.
C : Mais cette histoire lui offre au moins une exposition incroyable.
M : Fin août, le New York Times signe un portrait élogieux de Kiddy Smile. Il y explique notamment que s’il a accepté de jouer à l’Élysée, c’était pour “rappeler que des gens comme lui existent”. Il a cependant refusé de poser aux côtés d’Emmanuel Macron.
C : Dans le New York Times, Kiddy Smile déclare : “J’ai choqué beaucoup de gens, mais la plupart d’entre eux étaient blancs. Ils ne comprennent pas que, même si je suis issu des LGBT, mon existence est intersectionnelle : je suis aussi une personne de couleur, et un fils d’immigrés. Vous croyez que la France est votre pays, mais on vous rappelle tout le temps que vous venez d’ailleurs. ll faut que je représente ces gens-là”: Kiddy Smile est l’un des premiers artistes français intersectionnels à bénéficier d’autant de visibilité, Morgane.
M : Exactement. Pour celles et ceux qui ne le savent pas, l’intersectionnalité, c’est reconnaître qu’une personne peut subir simultanément des discriminations qui se croisent et ont différentes sources : son genre, sa sexualité, ses origines, son milieu social. On estime qu’elles se déclinent à l’échelle de groupes spécifiques et dominés, et qu’il faut comprendre leurs intersections pour en venir à bout. Inventée par l’universitaire afro-américaine Kimberley Crenshaw en 1989, cette notion a été reprise par les féministes des années 2010 qui militent pour la fameuse “convergence des luttes”, soit le croisement des luttes de genre, de classe et de race.
C : Merci pour ce petit rappel de sciences humaines. Du coup, on comprend mieux pourquoi Kiddy Smile est un artiste résolument moderne et important, car l’intersectionnalité est encore une notion très récente en France.
M : Le parcours de Kiddy Smile reflète ses convictions. Ses parents, très modestes, sont Camerounais, et ont emménagé dans les Yvelines. Il y a pris ses premiers cours de hip-hop, avant de s’installer à Paris. Il a trouvé un accueil incroyable au sein de la scène “ballroom”, qui est très inclusive. Il a d’abord commencé par être DJ, avant de participer à des compétitions de voguing. “On n’avait jamais vu de Noir grassouillet sur le podium”, se félicite-t-il dans le NYT. Et le 31 août, Kiddy Smile a sorti son premier album, One Trick Pony, disponible chez Neverbeener Records. On y trouve notamment le single Be Honest :
EXTRAIT 2
M : One Trick Pony est un album entre house, dance et hip-hop. À l’image de Kiddy Smile, il est exaltant, jouissif. L’artiste réaffirme ses engagements dans House of God et appuie son talent sur le titre éponyme One Trick Pony : “Je suis sur ma lancée et je vais vous montrer ce que je sais faire/Je sais que je suis plus que ce que tu as vu en moi/Tu n’aurais pas dû me prendre de haut.” Certains titres sont ultra explicites et du coup drôles, comme Dickmatized, où il dit : “J’espère que tu vas chopper des maladies et que ta bite va tomber”. Au moins c’est clair. Le morceau Slap My B*tt est quant à lui plus qu’équivoque. De quoi faire pâlir Nicki Minaj d’envie.
EXTRAIT 3
M : Quand on écoute One Trick Pony, on a envie d’aller danser dans les profondeurs d’une boîte de nuit moite, pour oublier la bêtise des ignorants et ceux qui ne veulent rien savoir. Une icône est née !
C : One Trick Pony, le 1er album de Kiddy Smile, est disponible depuis le 31 août chez Neverbeener Records. Merci Morgane et à très vite !
« One Trick Pony » : Kiddy Smile, l’enfant terrible queer et afro, sort un exaltant premier album
Vous l’avez peut-être découvert lors de la précédente fête de la musique, le DJ français Kiddy Smile a marqué les esprits à l’Élysée avec son T-shirt provocateur et engagé pour la cause queer et afro. Morgane Giuliani a écouté son premier album, « One Trick Pony », et elle nous dira tout le bien qu’elle en pense.
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