L’entraide dans le milieu animal, l’autre loi de la jungle

[JINGLE -- Le livre de la jungle “être un homme comme vous”]
Corentin : Et si le monde animal ne se résumait pas à la loi du plus fort et à la compétition ? Et si l’entraide était en fait l’autre loi de la jungle qui prédomine dans le monde animal ? N’est-ce pas Laura Aupiais ?
Laura : C’est vrai que de par certains documentaires animaliers on a une vision du monde animal quelque peu biaisée. La nature, ce n’est pas que l’histoire d’un lion qui court après une gazelle.
Ce n’est pas forcément le meilleur ou le plus fort qui gagne à la fin. Même si, avec le recul, nous avons tendance à adopter cet aspect dans nos sociétés modernes. Le mérite et la compétition deviennent de plus en plus présents.
En réalité, la Nature nous prouve le contraire, à bien des égards d’ailleurs. La compétition n’est pas forcément liée à l’évolution. Et par la même occasion, ce qu’il se passe dans nos sociétés se déroule aussi dans la nature.
Corentin : Aurais-tu des exemples ?
L : J’ai noté quelques exemples d’entraide dans le milieu animal et végétal que vous ne connaissez peut-être pas.
Premier exemple, c’est celui des arbres à fourmis ou myrmécophytes. On les trouve dans les régions tropicales. Et comme ils sont creux, les fourmis vont alors s’installer à l’intérieur de cet arbre. Une fois colonisé et occupé par les fourmis, le myrmécophyte produit à la base de ces feuilles une excroissance sucrée dont les fourmis raffolent.
Et en échange, les fourmis vont chasser ou éliminer toutes les menaces potentielles pour le myrmécophyte. Ca va de l’élimination des insectes qui pourraient manger ses feuilles à l’élimination d’une plante qui pourrait lui faire de l’ombre.
C’est ce qu’on appelle en biologie le mutualisme. Un échange de bons procédés pour survivre.
Corentin : Le donnant donnant dans la nature quoi.
L : Dans le domaine aquatique, on retrouve également ce type de comportement. Et notamment entre le gobie et la crevette pistolet. Ce sont deux espèces complètement différentes qui vivent en colocation.
La crevette pistolet creuse un terrier où ils peuvent vivre ensemble. Comme cette dernière est aveugle, le rôle du gobie est d’alerter la crevette d’éventuels dangers grâce à sa vision à 360°.
La crevette pose son antenne sur le poisson et dès qu’elle le sent frétiller, c’est synonyme de danger.
Il existe encore beaucoup d’autres exemples de mutualisme et d’entraide dans le milieu animal. On peut aussi évoquer le rôle des insectes pollinisateurs.
Par conséquent, ça laisse supposer l’importance de l’entraide dans l’évolution.
D’autant plus que certains estiment que c’est grâce à cela que sont apparues les cellules eucaryotes. Là, on revient à l’apparition de la vie sur terre.
Corentin : Comment pouvait il y avoir de la collaboration s’il y avait à peine de la vie sur Terre, Laura ?
L : Les cellules eucaryotes regroupent tous les organismes unicellulaires ou pluricellulaires qui disposent d’un noyau. C’est-à-dire tout ce qui constituent les animaux, les plantes ou encore les champignons.
Alors comment sont-elles apparues ? Il y existe une hypothèse qui dit qu’une archée et une bactérie, qui sont toutes deux des micro organismes unicellulaires sans noyau constitués d’une cellule unique, avait probablement une relation similaire à la crevette pistolet et au gobie.
Et la relation aurait duré tellement longtemps, au delà de l’entraide, l’archée a intégré à l’intérieur d’elle même cette bactérie qui ensuite deviendra la mitochondrie. Ce qu’on pourrait comparer à la source d’énergie des cellules.
Corentin : Qu’est-ce qui pousserait les animaux, les plantes, les bactéries...à s’entraider ?
L : En 1902, Pierre Kropotkine, biologiste russe émet l’hypothèse que quand le milieu naturel est abondant et riche, la compétition prédomine. Alors qu’à l’inverse, dans un milieu hostile et difficile, l’entraide devient le premier facteur d’évolution des espèces.
On pourrait citer les manchots empereurs comme exemple pour étayer cet argument.
Mais cette théorie a été prouvée par une expérience réalisée avec deux différentes souches de bactéries très proches. Et elle ont fait exactement ce que Pierre Kropotkine disait. Dans un milieu favorable à leur développement, elles vont mener une guerre et à l’inverse elles vont mutualiser leur efforts pour survivre.
Il existe un autre facteur, c’est l’empathie. Cette capacité de reconnaître les émotions de l’autre et d’apporter une solution adéquate à l’émotion observée chez l’autre.
Cette capacité là, on la retrouve notamment chez les singes, les éléphants, certains oiseaux et chez les êtres humains bien évidemment.
On peut détecter cette faculté grâce au test du miroir.
Corentin : Un petit mot d’explication du test du miroir. C’est quand on place un miroir devant un animal après lui avoir mis une tâche sur le visage et qu’ensuite l’animal va se toucher le visage et pas le miroir.
L : Exactement. Il se reconnaît comme un individu indépendant mais similaire aux autres.
Je pourrai continuer avec d’autres exemples, notamment le sentiment d’injustice chez le capucin et l’expérience du pot commun mais il faut savoir s’arrêter. La nature, le monde animal n’est pas qu’un monde de compétition.
L’entraide est en fait la clef de l’évolution et on retrouve ça dans le fonctionnement même de nos gènes.
Alors pour terminer cette chronique et pour ouvrir la réflexion, je vais laisser la parole à Albert Jacquart, Polytechnicien, biologiste, mathématicien et philosophe. C’était en 1994 sur la RTBF.
[SON 2 - Albert Jacquart - 25s]
Corentin : Un message d’optimisme pour tous ceux qui ne croient pas en la compétition à tout va en tout cas. Merci Laura, et à très vite.