Corentin : La saison 3 de “Love” a été mise en ligne par Netflix le 9 mars 2018. Elle signe les adieux de Mickey, Gus et leurs amis créés par Judd Apatow, le roi de la comédie déprimante. A voir ou à éviter? Pour notre chroniqueuse Marie Turcan, on a là une bonne surprise printanière. Hello Marie.
Marie : Salut Corentin. Tu sais, regarder la série Love, c’est prendre un risque. Un risque de sentir ton visage se contracter furieusement, tes sourcils s’affaisser, tes yeux se plisser, ta bouche se déformer. Un peu comme quand un comédien fait un très gros bide en direct à la télé, ou quand Shym saute dans la fosse pendant un concert et que personne ne la rattrape.
C : Bon j’avoue par contre que j’ai un peu ri en voyant Shym sauter.
M : Les anglais ont un verbe pour cette attitude, ça s’appelle “to cringe”. Cela se traduit par “faire une grimace” mais aussi “avoir un mouvement de recul.” En somme, c’est un état de souffrance mêlée à de la fascination. En tant que spectateur ou spectatrice, tu es obligé d’observer la scène qui se déroule sur l’écran, mais ton cerveau est en train de supplier: “mais arrêtez-tout, s’il vous plaît!”
Cet état est provoqué par des situations de malaise. Et “Love” s’est faite la spécialiste de ces scènes gênantes, par la voix de son personnage principal Gus.
Gus, c’est un trentenaire qui, comme le dit la bande-annonce, a l’air d’être un mec de quarante ans qui en fait 12.
[TRAILER part 1]
https://www.youtube.com/watch?v=HpiAVK_T_aU
Gus, c’est le personnage qui est partout alors que tu aimerais le voir nulle part. Il prend constamment les mauvaises décisions, se plaint régulièrement qu’on le traite mal alors qu’il est insupportable avec les autres. Le genre de personne qui est tellement mal à l’aise avec elle-même qu’elle met mal à l’aise tout le monde.
C : Tu la vends super bien, cette saison 3 !
M : Il fallait bien que je commence par expliquer pourquoi Love a un parcours si atypique. En fait, elle a passé deux saisons à nous montrer un amour impossible entre Mikey, une sex addict/love addict/alcoolique, et Gus, un homme-enfant malaisant chez qui le manque d’assurance se manifeste sous forme d’agressivité.
En soi, c’était un postulat très courageux. Plusieurs séries avaient déjà montré que l’amour, ce n’est pas vraiment beau et simple comme dans les films — Girls, you’re the worst, broad city, louie —. Mais Love montrait que l’amour, c’était tout simplement impossible.
C : Voilà qui met de bonne humeur!
M : Tu mets le doigt sur le problème. Un tel propos, porté par deux personnages principaux autodestructeurs, complexés et irrationnels, ça ne fait pas forcément de la bonne télévision.
Je vais enfoncer des portes ouvertes, mais pour qu’une série accroche son public, il faut qu’elle ait quelque chose de positif. Même les séries les plus sombres ont ce petit détail, ce personnage, ce lieu, ce flashback, qui fait que le spectateur se dit “ok, je te fais confiance, je choisis de m’investir dans ton destin”.
A un moment où un autre, il faut que l’on puisse avoir de l’espoir. Or Love n’en donnait jusqu’ici aucun.
Ca me faisait penser à la série de 2013 “Hello Ladies” avec Stephen Merchant, sur un mec ultra gênant.
Trailer Hello Ladies https://www.youtube.com/watch?v=Qww40o8XKmI
M : Il était empoté et pourtant terriblement sûr de lui, et se prenait râteaux sur râteaux tout au long des épisodes. Et bien: la série a été annulée au bout d’une saison. Elle provoquait juste trop de “cringe”, trop de grimaces devant son écran.
C : Mais “Love” a eu plus de chance, et ça a payé, c’est ça?
M : Eh oui, que ce soit un hasard ou un aveu d’échec assumé, Love s’est transformée. Finies, les lourdeurs involontaires. Terminés, les personnages secondaires insipides.
Ce troisième et dernier volet se veut plus simple mais aussi plus humain.
Bernie, la colloc de Mickey, prend de l’ampleur et dépasse le statut de “bonne copine rigolote”. Gus admet enfin qu’il se comporte comme un muffle et cesse de se prendre pour un sauveur. L’alliance avec Mickey fonctionne enfin, pas parce que leur relation est plus simple, mais parce que l’on comprend vraiment pourquoi ils sont ensemble. Ces deux-là se complètent et se tirent vers le haut.
Alors oui, on pourrait reprocher à la série l’abandon d’une certaine noirceur. Mais elle sert, au contraire, l’intrigue. Ce sont les personnages eux-mêmes qui, peu à peu, choisissent de laisser tomber leur spleen. L’une des scènes les plus importantes est d’ailleurs traitée de manière banale: alors que Mickey passe une journée compliquée, elle commande un verre de vokda au bar. Puis décide de ne pas le boire. Elle a échappé au pire, et pourtant ce n’est pas montré comme un bouleversement, juste une épreuve quotidienne.
C : C’est un peu le message de la série d’ailleurs: le bonheur à l’épreuve du quotidien.
M : C’est exactement ça. On a des héros qui tentent de se plaire dans la routine, qui apprennent à profiter des moments simples et surtout de se contenter de ce qu’ils ont.
Cette simplicité se retrouve aussi dans la forme: les épisodes de la saison 3 ne font que 28-29 minutes, soit beaucoup moins que pour la première saison, où ils pouvaient atteindre jusqu’à 40 minutes.
Ce vent de légèreté souffle jusqu’à la scène finale de la saison — et de la série —. Alors, elle en laissera peut-être certains sur leur fin, mais elle a le mérite d’oser l’optimisme, à l’heure où de nombreuses séries se complaisent dans le défaitisme.
C : Merci Marie, et si vous n’avez jamais regardé la série, vous pouvez rattraper les trois saisons de “Love” sur Netflix.
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