Corentin : Steven Soderbergh n’a pas fini de s’attaquer aux séries. Après The Knick, il s’est lancé dans un pari très audacieux: réaliser une mini-série interactive dans laquelle les spectateurs américains pourront naviguer à travers les scènes et choisir ce qu’ils préfèrent découvrir. Alors, vraie innovation ou fausse-bonne idée? Marie Turcan décrypte ce concept pour nous. Alors Marie, est-ce que Mosaïc va révolutionner les séries télé?
Marie : Eh oui Corentin ça y est, on a trouvé le futur des séries télé! Que dis-je, le futur de l’audiovisuel tout court! Finies, les séries que vous regardiez affalés dans votre canapé, les mains dans les poches. Il faudra maintenant aller chercher votre divertissement à la force des pouces, sur des applis. Une série, ça se mérite!
C : Je sens une pointe d’ironie...
M : Tu me connais si bien… Alors oui, en effet, j’avoue… Pour le dire franchement, je pense que Mosaïc fait partie des 3 pires fausses-bonnes idées de la fin des années 2010 — avec les chatbots sur Facebook et le retour des pantalons taille-basse —.
En fait, Mosaïc a fait ressurgir les élans “réacs” les plus primaire en moi. Ceux que je croyais enfouis loin, très loin. Halte à l’innovation! Non à la technologie! Bon, j’en rajoute... mais je veux juste pouvoir regarder une série tranquille. Je m’explique. A la base, “Mosaic”, c’est plutôt une chouette production, surtout quand on aime le style de Steven Soderbegh.
[EXTRAIT 1, la B-A]
M : Le pitch est vraiment typique d’un polar: une illustratrice de bande-dessinée pour enfants est assassinée, et il y a plusieurs coupables potentiels.
C’est Sharon Stone qui incarne la malheureuse artiste. Elle joue avec une intensité incroyable cette femme qui oscille en permanence entre l’état dépressif et l’espoir amoureux naïf. Elle sait ce qu’elle veut, elle parle fort, elle critique ses partenaires, elle est bourrée de défauts et assume.
A l’inverse ses deux prétendants sont plus classiques, un artiste bourru et un arnaqueur aux motivations troubles.
C : Et puis Soderbergh à la réal, ça ne doit pas être dégueu, quand même..
M : C’est l’argument phare de la série, et à raison. On retrouve en effet le style Soderbergh, l’atmosphère poisseuse, les personnages filmés de près, l’ambiance intimiste. Ce qui est beau dans “Mosaïc”, c’est qu’on se prend d’affection pour chacun des protagonistes, alors qu’ils sont tous un peu dégueulasses à leur manière. La dessinatrice est flippante, son mec a un sourire plus faux qu’une contrefaçon adidas à 2 bandes, tandis que l’autre prétendant est aussi renfrogné que violent.
Et pourtant, on est immédiatement investis émotionnellement. Impossible de lâcher l’intrigue.
C : Elle m’a l’air très bien cette série, pourquoi tant de haine Marie Turcan??
M : Ecoute, j’ai trouvé l’exemple parfait pour illustrer la manière dont je vois le concept de Mosaïc.
[EXTRAIT 2]
https://www.youtube.com/watch?v=0BknuzIcJAo
Eh oui, c’est bien une présentation pour un frigo qui se déplace tout seul, vous avez bien entendu. Et bien pour moi, Mosaic, c’est comme un frigo connecté. Un bon concept: un frigo, c’est chouette, ça garde mes aliments au frais, je suis contente. Et puis ça part en cacahuète: on le rend connecté, interactif, et soudain on n’y comprend plus rien.
Voilà comment l’appli Mosaïc fonctionne. Elle permet aux utilisateurs, donc aux Américains, car elle ne sortira pas en France, de choisir les scènes qu’ils ou elles veulent voir.
Par exemple: après une scène de dispute entre deux personnage, l’utilisateur peut choisir de suivre la vie de l’un, ou de suivre le parcours de l’autre.
En somme, c’est de la FOMO, mais version série.
C : De la quoi?
M : La fomo ou “Fear of missing out” en anglais. C’est le fait de craindre en permanence d’avoir loupé une info cruciale. On l’utilise parfois pour parler de ces gens qui se rendent à trois fêtes au cours de la même soirée et du coup qui ne profitent d’aucune. Et bien voilà, les fictions interactives, ça me fait le même effet. J’ai constamment l’impression d’avoir loupé un truc, je me sens pas bien, j’ai l’impression de perdre mon temps.
Le pire, c‘est que les choix de spectateurs n’influent pas sur l’issue de l’histoire: le meurtrier sera le même, quels que soient vos choix.
Ca me fait penser à une fiction française appelée WEI OR DIE.
Le concept était très alléchant: il y a eu un meurtre au cours d’un weekend d’intégration et vous pouvez revivre les dernières heures du point de vue de multiples caméras qui ont filmé la soirée. Mais quand j’ai commencé à y jouer, j’ai été prise d’une attaque de panique. Je voulais tout voir, je cliquais partout comme une forcenée, je revenais tout le temps en arrière. Bref, ça m’a pris 15 heures et j’en suis sortie en ayant perdu 5 ans d’espérance de vie.
C : Bon, mais vu que l’appli est inédite chez nous, les Français vont échapper à la crise cardiaque, non?
M : Oui, mais le problème c’est que la série pâtit de ce fonctionnement. Comme les scènes sont plus “fractionnées”, pour pouvoir fonctionner de manière indépendantes, on sent parfois que le montage est un peu haché, voire tronqué. Certaines scènes ressemblent plus à des saynettes, elles sont coupées de manière abrupte et ne sont pas très bien reliées entre elles.
En résumé, Mosaïc aurait gagné en puissance en n’ayant pas ce côté “gadget”.
Et le pire, Corentin, tu veux savoir le pire. C’est que Sodherberg a déjà deux autres productions interactives de commandées en stock pour HBO … Alors je l’annonce déjà car je ne veux pas mourir à 35 ans: ce sera sans moi.
C : Merci Marie pour cette mise en garde, vous pourrez en tout cas suivre la mini-série Mosaïc sur OCS en diffusion H+24, à raison d’un épisode par soir à partir du 23 janvier.
« Mosaic » : la série dont vous n’êtes pas le héros
Sur le papier, la série interactive « Mosaic » réalisée par Steven Soderbergh semblait être une bonne idée. Malheureusement, Marie Turcan de « Business Insider France » l’a expérimentée et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle a pas mal déchanté.
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