SMILF: des vibros au drame
Corentin : Aux Etats-Unis, une petite série fait grand bruit en ce moment. Elle s’appelle SMILF ! Quel est ce petit OVNI qui a conquis le public et la critique en à peine quelques semaines ? Marie Turcan l’a vue et décrypte ce succès pour nous. Salut Marie !
Marie : Bonjour Corentin ! SMILF, c’était la série parfaite pour finir 2017. D’ailleurs, le dernier épisode de cette première saison a été diffusé le 31 décembre. Donc pour celles et ceux qui ont préféré réveillonner dans l’euphorie et l’alcool, je vais vous donner plein de raisons de rattraper SMILF en 2018.
C : Tu as l’air bien enthousiaste en tout cas ! Dis-nous tout.
M : Tout d’abord, l’histoire. Elle pourrait tenir sur un timbre poste: une mère au foyer célibataire galère dans la vie. Voilà. C’est tout. Alors, sur le papier, rien de bien transcendant. Mais une fois que Frankie Shaw s’en empare, ce pitch minimaliste se transforme en or.
Frankie Shaw, c’est une actrice réalisatrice de 31 ans, qui a remporté le prix du jury au festival Sundance en 2014 pour son court-métrage “SMILF”. Vous l’aurez deviné, SMILF, la série est l’adaptation de SMILF, le court-métrage, repéré et adapté par Showtime. Et la chaîne câblée américaine a quand même mis trois ans à sortir ces dix premiers épisodes !
C : Et du coup ? Ça valait le coup d’attendre?
M : Les Golden Globes ne s’y sont pas trompés: ils ont nommé la série ET Frankie Shaw dans la catégorie meilleure actrice. Car c’est une évidence: il suffit que l’Américaine apparaisse à l’écran pour que toute sa série prenne du sens. Elle affronte les péripéties avec un mélange de flegme et d’optimisme désespéré qui sublime les histoires, somme toute plutôt classiques, de son personnage Brigette.
https://www.youtube.com/watch?v=EEuhy1oGbC4 (je t’envoie l’extrait en question)
Brigette rêve d’une carrière de basketteuse pro à 31 ans. Mais elle accumule les petits jobs pour payer le loyer du studio qu’elle partage avec son fils-beaucoup-trop-mignon.
Brigette est aussi forte que désorganisée, aussi touchante que désespérante. C’est un portrait, à plus large échelle, de la classe basse-pauvre blanche américaine, déjà montrée dans des Shameless ou The Middle.
C : Ca m’a l’air quand même assez déprimant, pour une série comique...
M : Je ne vais pas enfoncer des portes ouvertes mais on sait que depuis des années, les comédies dramatiques ont largement pris le dessus sur les comédies “pures”. Louie, Orange is the new black, Veep, You’re the worst: ce sont des séries drôles qui font rire du malheur des autres.
Je ne sais pas pourquoi, mais je pense souvent à cette phrase qu’a prononcée un jour Valérie Lemercier sur une radio nationale. Elle disait qu’on riait souvent dans le malheur. Elle disait “quand je dois porter une armoire très lourde toute seule sur 6 étages dans les escaliers, je ne vais pas pleurer, ça me fait rire”. On rit de désespoir, mais on rit.
C : Oui, on est plus dans des problèmes de tous les jours que dans des événements vraiment tragiques, quoi...
M : Et puis surtout dans SMILF, on rit parce qu’au milieu de toutes ces galères, les personnages sont très purs. Ils ont beau se faire du mal, ils ont tout de même tous une lueur de bonté qui transparaît. Entre sa mère renfrognée, blessée d’avoir laissé sa vie s’échapper, et Connie Britton qui joue une femme au foyer riche et désespérée, c’est un casting entier qui porte cette série.
Bon, on rit aussi parce que Frankie Shaw se dévoile sans tabou en train de prendre des champignons, se masturber sur la nouvelle copine de son ex ou parler très franchement avec sa gyneco de sexe non protégé.
https://www.youtube.com/watch?v=bg8lF5n1W7k (je t’envoie l’extrait en question)
C’est pour ça que que ce mélange un très beau coup pour Showtime, la chaîne qui produit SMILF.
C : Autant je pense que nos auditeurs connaissent la chaîne HBO, autant Showtime est un peu plus confidentielle… est-ce que tu peux nous expliquer pourquoi il est important que ce soit Showtime qui produise cette série?
M : Comme tu dis, tout le monde connaît sa concurrente HBO, qui explose toutes les audiences avec son mastodonte Game of Thrones (tu connais Game of Thrones?). Mais à la fin des années 2000, Showtime était en passe de devenir LA chaîne câblée à suivre, avec son regard intelligent et prescripteur.
Par exemple, elle a diffusé quasiment en même temps The Big C et Nurse Jackie. C’était deux séries dingues sur des femmes fortes, réfléchies, drôles et bourrées de défaut.
Mais depuis quelques années, plus rien. Les deux séries ont été annulées en 2013 et 2015, et la chaîne a eu du mal à retrouver son petit côté “indé”. Evidemment, elle a diffusé Twin Peaks, mais on est là hors catégorie.
C : Et puis SMILF est arrivée.
M : Et puis SMILF est arrivée, même s’ils ont mis 3 ans à la produire, on a là une série enjouée et féministe.
Je ne parle pas du féminisme par militantisme, je pense que Showtime avait vraiment besoin d’une production qui soit contemporaine. Et vous ne serez pas passés à côté: l’année 2017 a marqué beaucoup de changement en matière de représentation des féminismes et des violences sexistes faites aux femmes.
En cela, SMIFL est remarquable, et en particulier son épisode 3. C’est Bridgette qui, pour se faire de l’argent, accepte d’être payée par un inconnu simplement pour lui faire la conversation. Je ne vous en dirais pas plus, mais l’épisode en soi montre combien on a besoin de plus de séries comme SMILF, fraîche, contemporaine, et intelligente.
D’ailleurs Showtime ne s’y est pas trompée : elle a renouvelé la série pour une saison 2 après seulement 4 épisodes diffusés.
C : SMILF ! C’est diffusé en France par Canal+Series, c’est tous les mardi à 20H50 dès le 23 janvier. Et c’est évidemment disponible en VOD. Merci Marie, et à la prochaine.
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