Corentin : « Pourquoi avons-nous besoin d’être aimés ? » C’est la question que se sont posés les journalistes de Philosophie Magazine pour leur numéro d’été. Alors Angèle Chatelier aussi, s’est interrogée : aimer, est-ce vraiment ce qu’il y a de plus beau ?
(EXTRAIT 1)
Angèle : Pourquoi avons-nous besoin d’amour ? Est-ce un lien qui libère ou qui au contraire, emprisonne ? Pourquoi sommes-nous aussi dévastés lors de l’exercice de la rupture ? Autant de questions sur lesquelles vous pourrez vous interroger en lisant le numéro d’été de Philosophie Magazine.
Si chacun dissertait sur l’Amour, probablement que le monde se sentirait mieux. C’est là tout le but de la philosophie. Mais, l’amour dans le sens de la relation amoureuse est-il aussi beau que l’on veut bien nous laisser le croire depuis que l’Homme est Homme ?
C : Beaucoup d’écrits partent du postulat que l’on ne peut pas vivre sans amour
A : Car il est ce qui nous libère. Aimer un autre nous éveille. Éveille notre curiosité, nous fait tendre vers un but. En soi, aimer, c’est se dépasser soi-même. L’idée de l’amour comme unité est évidemment apparu avec Platon, dans Le Banquet, avec le fameux mythe d’Aristophane.
En voici un extrait pour le comprendre. Platon met en scène un homme et une femme : (EXTRAIT 2 musique d’accompagnement)
« Ils étaient d’une force et d’une vigueur extraordinaire et comme ils étaient d’un grand courage, ils attaquèrent les dieux et tentèrent d’escalader le ciel. Alors, Zeus délibéra avec les autres dieux sur le parti à prendre. Le cas était embarassant ; ils ne pouvaient se décider à tuer les hommes et à détruire la race humaine à coups de tonnerre ; car c’était mettre fin aux hommages et au culte que les hommes leur rendaient , d’un autre coté, ils ne pouvaient plus tolérer leur impudence. Enfin, Zeus, ayant trouvé non sans difficulté une solution : il coupa les hommes en deux »
C : L’amour, donc, consisterait à chercher toute sa vie sa moitié pour à nouveau se fondre ensemble.
A : Selon ce mythe, oui. Bien après, au 20ème siècle, Martin Buber publie l’ouvrage « Je et Tu ». Dedans, le postulat est que l’Homme devient un Je au contact du Tu. Dans Philosophie Magazine c’est un peu plus clair : c’est en grande partie l’amour de l’autre qui me constitue, pas seulement dans mon identité affective et psychologique mais en tant que personne. Il y a aussi une très jolie phrase de Stendhal dans son ouvrage De l’Amour : « l’amour est comme la fièvre, il naît et s’éteint sans que la volonté y ait la moindre part ».
C : Tout ça expliquerait d’où vient notre besoin d’amour
A : En réalité, ce besoin est inhérent à notre enfance, vous vous en doutez. Sans vouloir être trop freudienne, nous cherchons dès notre naissance l’amour de la mère, tout d’abord, puis de nos deux parents, ensuite. Leur regard, leur approbation. Nous le recherchons aussi dans l’être aimé. Ce qui pose un problème : finalement, avons-nous besoin d’aimer, ou plutôt, d’être aimé ?
Avant le désir de donner de l’amour, il y aurait un culte du Moi. Il serait plus important, - voire permettrait de rendre plus heureux - de savoir que l’autre nous aime plutôt que de l’aimer, tout court. C’est d’ailleurs flagrant aujourd’hui avec les réseaux sociaux. La course aux « likes », Tinder, le tout tout-de-suite.
Il y a donc deux écoles : celle de dire que l’Amour se ressent comme tel lorsque l’on est aimé, l’autre lorsque l’on aime.
Sauf que Philosophie Magazine le rappelle : pour devenir soi-même, il est fondamental de savoir aller contre le désir de celui qui nous aime et de nous en détacher afin de ne pas rester prisonnier.
C : Mmmmh oui, mais ça, ce n’est pas si facile.
A : C’est là toute l’ambivalence de l’être humain et Alexandre Lacroix, le directeur de la rédaction de Philosophie Magazine a tout résumé dans son édito : il est possible que nous nous mettions à détester secrètement la personne à laquelle nous sommes le plus liés. Le but : couper le trop-plein d’amour de l’autre. Quand on pense trop à l’autre, il faut savoir le détester pour repenser un peu à soi. Mais d’un autre côté, nous pouvons être aussi intraitable envers l’être aimé qu’envers nous-même. C’est d’ailleurs ce qui provoque beaucoup de disputes dans le couple. (BRUIT ASSIETTE QUI CASSE)
Et les sources de souffrance dans l’Amour sont nombreuses. A commencer par notre société d’aujourd’hui : nous l’avons bâtie sur une seule et même alternative : soit vous êtes en couple, soit vous êtes seul. Et être seul, nous l’avons dit plus haut, n’est agréable pour personne. Sauf que dans le même temps, il faut apprendre à vivre seul et à se confronter à son Moi pour pouvoir aimer l’autre.
C : C’est comme si nous étions malheureux tout le temps en fait...
A : Pour certains philosophes, oui. Pour d’autres, l’amour est ce qu’il y a de plus beau et le moyen de tendre vers un idéal absolu, pour d’autres, vaudrait mieux s’en passer. Nous ne sommes jamais mieux servis que par soi-même.
Mais sans être aussi triviaux, il faut surtout apprendre à se détacher d’un besoin écrasant d’amour et essayer de comprendre pourquoi celui-ci est si présent.
Pourquoi souffre-t-on autant dans l’exercice de la rupture, par exemple ? On le lit dans Pholosophie Magazine, par exemple : parce que bébé, nous ne survivions qu’en fonction de l’attention accordée par nos parents. Cela se retrouve avec l’être aimé.
C : Nous sommes tous des bébés en puissance...
A : Exactement. La rupture est absolument dévastatrice pour quiconque. C’est perdre sa moitié, une partie de son Moi et celui qui nous accordait importance et attention. L’exercice de la rupture suppose de réapprendre à se connaitre et à vivre pour soi-même. Pour ça, chacun fait comme il peut. Se remettre avec quelqu’un très rapidement ne veut pas dire que l’on a oublié l’autre : c’est que l’on cherche dans cette nouvelle personne l’approbation de son propre ego, celui qui a été blessé dans la rupture.
Mais la philosophie sait être optimiste, croyez-moi ! L’exercice de la rupture ou même de la souffrance peuvent être beaux et terriblement profitables. En 1669, Guilleragues publie ses célèbres Lettres portugaises. Il les présente comme la traduction de cinq lettres d’une religieuse portugaise à un officier français. Dedans, elle dit : « je vous remercie du fond du coeur du désespoir que vous me causez ».
La souffrance est belle, parfois.
Philosophie Magazine le résume en disant : l’amour ne doit pas être pensé sur le prisme de l’identité, mais plutôt comme quelque chose qui corrode le Moi. Aimer, se faire aimer puis tout perdre du jour au lendemain, c’est aussi l’assurance que cela recommence, avec quelqu’un d’autre.
C : Quelle est la solution pour vivre au mieux l’exercice de l’Amour, alors ?
A : Ne pas trop aimer l’autre (dans le sens dévastateur et passionnel négatif du terme) peut se faire en diversifiant ses sources d’Amour. Je vous le disais dans une chronique qui parlait de “comment écrit-on l’amour en 2018”. Dans son ouvrage l’amour réaliste. La nouvelle expérience amoureuse des jeunes femmes, le sociologue Christophe Giraud a suivi 26 femmes entre 18 et 25 ans et leurs relations à l’Amour. Il met en exergue que lors d’une rupture, les amitiés prennent une place intense. Immense, même.
Être en couple, (et l’être bien et avec sagesse comme le préconise la philosophie), suppose donc de ne pas tout donner à une seule et même personne mais de diversifier ses sources d’amour.
Mais n’oubliez pas d’aimer, quand même. Parce que finalement, on sait tous que c’est ce qu’il y a de plus beau, quand l’Amour est bien pensé. Pour encore mieux y réfléchir, je vous conseille la lecture du livre d’Éric Blondel, intitulé sobrement “L’Amour”, qui a choisi des textes des plus grands philosophes sur le sujet.
C : Merci Angèle Chatelier de nous avoir fait aimer aujourd’hui. Philosophie Magazine et leur dossier d’été « Pourquoi avons-nous besoin d’être aimés » est bien évidemment à retrouver en kiosque. A très vite,
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