Le vêtement, ce sas entre le Moi et l’extérieur
Corentin : Certains prennent ce qui leur passe sous la main dans le placard. Pour d’autres, c’est une véritable affirmation de sa propre identité. Le vêtement est ce lien entre l’intime et le social. Angèle Chatelier s’interroge : qu’est-ce que le vêtement dit de nous ?
(EXTRAIT 1)
Angèle : J’avais mis le costard, celui bleu vert ou noir, chante Juliette Armanet dans Un samedi soir dans l’histoire. Il va faire nuit, vous sortez. Qu’est-ce que vous allez porter ? Au quotidien, même, nos vêtements en disent beaucoup de nous. Tu le disais Corentin, c’est avant tout ce lien entre l’intime et le social, ce sas entre le Moi et l’extérieur
C : En ce sens, l’habit fait le Moi
A : Et il faut avant tout se poser une question essentielle : « pourquoi s’habille-t-on alors que nous naissons nus ? » vient alors une réponse évidente : parce qu’il fait froid, pardi ! Ou bien, le sol est dur, je me dois de mettre des chaussures. Mais vous l’aurez compris, la sociologie et la philosophie du vêtement est plus complexe. Pourquoi porter une cravate si ce n’est pour se rendre plus beau ? Le but est là : affirmer son identité.
Dans leur ouvrage « Déshabillez-moi, psychanalyse de nos comportements vestimentaires », Catherine Joubert et Sarah Stern sont catégoriques : l’habit est destiné à porter un message à soi, mais aussi aux autres.
Les deux psychiatres font un parallèle entre le vêtement et la relation mère/enfant. C’est généralement elle qui habille son enfant. Qui le façonne à son image, qui l’enveloppe, le choye. En ce sens, le regard de notre mère est le premier miroir dans lequel nous nous voyons. C’est son regard qui importe. Et c’est le psychanalyste Donald Winnicott qui reprend cette théorie : notre façon de nous regarder dans le miroir avec un dit-vêtement, c’est être en quête de ce premier regard sur nous.
C : Comme si je m’habillais pour retrouver l’enveloppe dans laquelle m’enroulait ma mère, en quelque sorte ?
A : Alors oui. On sait aussi que les psychologues et psychiatres ont toujours des théories sur l’enfance, à tort ou à raison. Mais au-delà d’être ce miroir entre Moi et le regard de ma mère, il est aussi ce qui va montrer le Moi à l’extérieur. Regardez autour de vous et interrogez-vous ; cette femme a mis sa plus belle robe. Au contraire, cet homme dans le bus, près de vous, semble négligé. Quelle image allez-vous vous en faire ?
Mais si le vêtement est ce sas entre le moi et l’extérieur, il est aussi l’objet de jugement, de perception d’Autrui. Et il interroge. Cette femme en s’habillant ce matin s’est peut-être dit : « est-ce trop ? Est-ce moi ? ». Cet homme négligé se donne-t-il un genre ou au contraire, il entre dans cette conception selon laquelle le vêtement serait aussi un marqueur social ?
(EXTRAIT 2)
C : Le vêtement a aussi évidemment un rôle esthétique
A : L’esthétique en philosophie est très large. Elle a pour objet la perception, les sens. Le beau, aussi. Elle se réfère aux émotions révélées par la vue d’une oeuvre d’art.
Je me suis souvent interrogée : ce sac, que je trouve beau, je l’achète pour moi ou pour la vue des autres ? Sera-t-il beau, sur moi, ou bien par rapport à moi et ce que je veux dégager ?
En ce sens, acheter cette chemise, est-ce pour la beauté de cette chemise ou pour le regard qu’en fera Autrui ?
C : En ce sens, s’habiller, c’est aussi montrer sa valeur sociale
A : Pour certains, c’est très important. Il suffit d’analyser comment s’habillent les personnes riches. Inutile d’essayer de trouver un chemisier H et M. Le vêtement montre à l’extérieur, aussi, ma valeur et mon argent. Il est un marqueur social. Et source de nombreuses angoisses ; j’aime cette chemise mais je ne peux me l’offrir. Elle me rabaisse à ma condition.
Et que dire de ceux qui doivent porter un uniforme ? Un costard cravate morne, banal, tous les jours ? C’est un véritable calvaire pour beaucoup. Et c’est justifié ; si le vêtement me représente, se montrer avec un seul et même costume chaque jour, c’est profondément dramatique.
Dans le même sens, ces femmes et ces hommes qui font de leur corps une oeuvre d’art en la tatouant : ne serait-ce pas là le signe d’une détresse narcissique qui impute à ces personnes de prouver leur identité, leur histoire ? Certaines personnes, vous en connaissez peut-être, portent aussi souvent les mêmes vêtements. En psychologie, on y trouve un sens : il se pourrait que ces personnes aient une faille. Celle de ne pas savoir qui elles sont, ou ne pas l’assumer. Avoir le même look serait alors rassurant.
Vous l’aurez compris, le vêtement englobe de nombreuses thèses : philosophiques, psychologiques, mais aussi économiques et politiques. Si le sujet vous intéresse, je vous invite à lire de Catherine Joubert et Sarah Stern que j’ai cité en début de chronique, ou encore le philosophe Marc-Alain Descamp qui a développé une philosophie de la mode.
C : Peut-être que je regarderai différemment mon placard en m’habillant demain ! Merci en tout cas Angèle Chatelier et à très vite
En philosophie, l’habit fait-il vraiment le moi ?
Certains les enfilent sans forcément trop y penser, pourtant les habits jouent énormément dans la construction de notre identité et de l’image que l’on renvoie aux autres. Véritable sas entre la société et l’intime, détricotons le vêtement, avec Angèle Chatelier.
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