Corentin : Il paraît qu’aujourd’hui, l’amour n’existe plus. Du moins, ses contours ont changé : le hasard des rencontres s’est transformé en algorithme. Tinder, Happn, Meetic… autant d’endroits virtuels où l’on peut rencontrer l’amour. Où se situe le romantisme dans de telles applications ? Au 21ème siècle, le romantisme existe-t-il encore au sens philosophique du terme ? C’est la question que se pose Angèle Chatelier.
Angèle : Le romantique a de belles doctrines et préceptes. L’amour est le fruit du hasard, fait la part belle à notre sensibilité la plus profonde et il fait parfois bien les choses. Une rencontre, un soir, à l’envolée. Le romantique s’allie à la mélancolie, la nostalgie. Le goût de la nature, celui de la passion. Vivons-nous aujourd’hui dans un monde où les romantiques se font rares ? Voire, n’existent-plus ?
Il convient avant tout de rappeler ce qu’est la philosophie romantique.
C : Des écrits où la sensibilité et l’imagination sont ce qui se rapprochent le plus de la Vérité
A : Et quel philosophe n’est pas à la recherche de la vérité vraie ? Effectivement, la philosophie romantique s’attache - au contraire de la philosophie rationnelle - à exploiter les activités humaines inconscientes et irrationnelles.
La raison, du latin ratio, c’est savoir peser le pour et le contre. Dans tous les écrits philosophiques, il est l’exact opposé de la passion, pathos en grec. La philosophie romantique, née à la fin du 18ème siècle souhaite avant tout que l’on perde ce contrôle de la raison. Le philosophe romantique se laissera submerger par ses émotions les plus noires, mélancoliques, intenses, pour parvenir à la vérité. Cela demande un effort surhumain aujourd’hui : accepter ses sentiments, son ressenti, ses doutes, ses noirceurs. Savoir les dires, surtout (EXTRAIT 1)
C : Avec un extrait de l’album de Vincent Delerm A présent, cette interlude intitulée « Êtes-vous heureux ». Tu le disais Angèle, le philosophe romantique accède à sa vérité intérieure en laissant surgir ses passions, ses sentiments. Mais la société dans laquelle nous vivons semble ne pas autoriser un tel luxe.
A : Au site suisse Femina, le sociologue Olivier Voirol dit : « L’injonction néolibérale à la performance va à l’encontre des notions liées au romantisme ». Ces notions, ce sont celles de la vulnérabilité, dit-il, de la lenteur, de l’inconnu.
Et puis, dans un monde où rien ne va, où tout semble s’étioler à petit feu et où l’on a fait de notre propre corps un produit marketing qui doit gagner le plus d’argent possible, il ne faudrait pas laisser ses émotions prendre trop de place. L’existence n’en serait que plus difficile.
Alors, on oublie. On entre dans les tréfonds de son âme les pensées les plus mortifères, les désirs qui semblent irréalisables. Et on fait en sorte que nos relations amoureuses soient aussi productives qu’un dossier de bureau.
C : Dans le sens d’avoir un toit, des enfants, devenir propriétaire ?
A : Pas que. On n’accepte plus de prendre son temps. C’est le mal du siècle, nous le disions en préambule. Ce consumérisme de l’amour et du sexe avec les applications de rencontre. Aujourd’hui, l’on semble prendre, aimer, jeter à la moindre imperfection. On ne lit plus en l’autre comme dans un livre ouvert, que l’on sait refermer au moment opportun. Car évidemment, comme le dit l’artiste Pomme, l’amour est parfois en cavale (EXTRAIT 2)
C : Certaines personnes se disent surtout : « pourquoi je reste là s’il y a peut-être mieux ailleurs ? ».
A : Les utilisateurs des applications de rencontres sont de très bons sujets en philosophie. Il y a ceux qui enchaînent par peur de souffrir, ceux qui aiment faire du mal et donc veulent en faire le plus possible. D’autres complètement blasés qui veulent juste palier à une solitude trop insupportable. Et il y a ceux qui recherchent leur moitié sur ces applications, autant que le hasardeux, romantique invétérée et fervent défenseur des émotions le ferait.
Mais nous le disions plus haut : la philosophie romantique s’attache aux sentiments. Ceux que l’on doit accepter mais aussi ceux qu’il faut dire. Nous ne sommes pas totalement honnête face à des gens que l’on ne connaît pas bien. L’Amour mais surtout la connaissance de l’autre peut prendre des années : il est parfois déception, rupture, crises. Mais tout cela permet aussi de le connaître encore mieux. Enchaîner les relations en ce sens, ce serait n’être jamais réellement soi.
C : Ou bien se construire, petit à petit, pour sa moitié à venir ?
A : Aussi ! Tout dépend comment vous visualisez l’amour et le romantisme. Car effectivement, le médecin Laurent Holzer, toujours au site Femina est un peu plus optimiste face à l’avènement des applications de rencontre. Pour lui, c’est à défaut d’accéder au véritable amour que l’on se tourne vers ce modèle consumériste des relations. Mais cela finirait par remettre les gens sur la route de l’idéal romantique et de ses émotions profondes. En ce sens, le romantisme existerait encore car il serait le but même de tels enchaînements. (EXTRAIT 3)
C : C’est vertigineux oui, comme le dit Bashung. Car si je comprends bien tout ce que tu dis, nous recherchons tous l’Amour véritable, au sens de la vérité philosophique, que nous utilisions des applications de rencontres, ou non.
A : Et c’est bien tout le malheur de l’homme. Si vous écoutez régulièrement mes chroniques philo vous aurez bien compris une chose : l’homme est à la recherche de sa moitié. Si l’on parle de romantisme, il y a bien une question que je me pose : où se situe la liberté lorsque l’on consume des dizaines de relations les unes après les autres ? Si au final, enchaîner les conquêtes se fait dans le but ultime de trouver sa moitié, n’est-ce pas être prisonnier ? Comme celui qui attend l’amour avec mélancolie, celui qui le cherche vivrait dans une prison dorée d’attente et de déception.
Celui qui attend - bêtement, peut-être - que l’amour lui tombe dessus, sera prisonnier de sa propre solitude mais en lui-même, pas avec les autres. L’objet de ce désir d’amour est orienté en son Moi.
C : C’est aussi l’injonction que nous fait notre société
A : Oui, et cela pourra faire l’objet d’une autre chronique, Car il y a effectivement une autre problématique qu’Olivier Voiron a mis en lumière : dans le passé, nous nous réalisions via les autres, il faut aujourd’hui, aussi, par notre société néolibérale de se réaliser par soi-même.
Vous avez tous entendu vos amis vous dire « pense à toi ! Sois bien seul avant d’être bien avec quelqu’un ! ». Nous sommes finalement dans une pression constante : celle de réussir notre relation, mais aussi de réussir son célibat.
A la lumière de tout cela, il apparaît que le romantisme existe encore pour celui qui s’attache à l’être. Celui pour qui les passions, envies, désirs, font partie de lui et qu’il faut dire. Mais cela prend du temps, alors il attend. Il attend que sa moitié les entendent et les comprennent. Les autres n’en sont pas moins romantiques : ils cherchent aussi le grand amour.
C : Et oui, on est quelques milliards à chercher l’amour et heureusement qu’on le trouve parfois. Il faut aussi savoir l’écouter, le choyer et malgré les déceptions, en faire une ligne directrice pour la suite, car sinon l’on ne vit plus. Merci Angèle Chatelier et à très vite.
Le romantisme existe-t-il encore ?
Peut-on encore être romantique en 2018 ? On peut clairement se poser la question. Les applications de rencontre mettent la performance au centre de tout et la société dans son ensemble pousse davantage à la rationalisation qu’à la mise en avant de ses sentiments. On essaye de voir ce qu’il reste du romantisme avec Angèle Chatelier.
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