Corentin : Il paraît que vous êtes vous aussi des amoureux. Enfin, que vous aimez vous interroger sur l’amour. Comme Angèle Chatelier qui nous propose depuis quelques semaines ses chroniques philo sur l’amour. Aujourd’hui, elle s’interroge : peut-on rendre l’autre amoureux ?
Angèle : Le thème pleut sur la presse féminine mais aussi dans les ouvrages de philosophie : « comment faire pour qu’il ou elle m’aime ? », « puis-je provoquer ses sentiments? »
Alors oui, la question mérite d’être posée : existe-t-il un philtre d’amour capable de rendre l’autre amoureux ?
C : Il faut commencer par s’interroger sur comment fonctionne notre cerveau lorsque nous tombons amoureux
A : Nous l’avons tous ressenti une fois dans sa vie : voir l’être aimé, devenir rouge, ne pas réussir à aligner trois mots, trembler… autant de symptômes qui prouvent que la personne en face de vous… vous plait. (EXTRAIT 1 extrait de film)
Mais, gare aux romantiques, tout est scientifique : 12 aires du cerveau travaillent lorsque l’on tombe amoureux. Elles produisent des hormones comme l’adrénaline, l’ocytocine, la vasopressine.. tout cela nous rend euphoriques. Vous l’aurez compris, donc : c’est automatique. Dans le cerveau humain, cela s’appelle les noyaux gris centraux. Ils représentent 1/50ème de la masse cérébrale et provoquent les choses que l’on fait instinctivement : faire du vélo, fermer sa porte à clé et… tomber amoureux.
Comme le rappelle Mashable dans un article paru en février dernier, tomber amoureux relève donc de la subconscience, c’est à dire de la faculté cérébrale qui nous permet d’agir, de penser et de ressentir des émotions de façon non consciente, donc automatique.
C : Et-il donc possible de forcer l’autre à devenir amoureux de nous ?
A : C’est l’objet de tout un ouvrage qu’à écrit Tobie Nathan : « Philtre d’amour - Comment le rendre amoureux, comment la rendre amoureuse ? ». Il est clair sur le sujet : on ne tombe pas amoureux au gré des rencontres, charmé par un corps harmonieux, un doux visage ou une belle âme, mais parce qu’on a été l’objet d’une capture délibérée. C’est là le point de départ de son ouvrage : la passion amoureuse qu’éprouve l’un est le résultat des pratiques d’un autre.
C : L’odeur, les rites, le langage…
A : Exactement. Instantanément, notre cerveau sera attiré par quelque chose chez l’autre. Un humour, un parfum… tout est susceptible chez l’autre de pouvoir vous faire craquer. Tomber amoureux dans ce sens ne se fait pas n’importe où, ni n’importe quand.
Mais à ce stade de la chronique, nous pourrions penser qu’il suffit de déposer des phéromones et objets de ce qu’aime l’autre pour le rendre amoureux. Cependant, il nous est tenu de distinguer deux choses : l’éros et la philia. Le premier est la passion amoureuse, le second est l’amour altruiste. Selon Tobias Nathan, seule la passion amoureuse peut être éventuellement déclenché. Et il est très important aussi de distinguer l’amour et la passion.
C : La passion doit être pensé sous le prisme du désir
A : Etre passionné, c’est avoir un désir dominant. Descartes par exemple, parle des « passions de l’âme » comme l’ensemble de la vie affective. Mais si la passion est désir, alors pour Schopenhauer par exemple, elle est mauvaise. Il met en exergue le cercle du désir : nous passons notre vie à désirer, pendant ce désir il y a de l’attente, l’attente de réaliser ce désir mais dès qu’il est comblé, vient un autre désir. Selon lui, nous ne sommes donc jamais satisfaits. Le passionné, dans l’amour, est sous emprise. Il désire constamment quelque chose qu’il n’a pas. C’est pour cela notamment que beaucoup d’amour-passion sont destructeurs.
C : Au sujet de la passion, Tobie Nathan est clair dans son ouvrage
A : Dans Libération, il rappelle que dans la passion, l’autre me manque quand il n’est pas là, il me manque quand il est là car il n’y est jamais suffisamment. C’est l’affreux cercle du désir et de l’insatisfaction.
C : C’est donc éventuellement la passion que l’on peut provoquer
A : Ne pas répondre à un texto dans l’heure, créer le manque, user de stratagème pour mettre l’autre dans ce cercle du désir insatiable, voilà comment faire pour qu’il pense à nous. Sauf que, vous l’avez compris, pour bon nombre de philosophes, la passion n’est pas de l’amour.
C : Qu’est ce que l’amour alors ?
A : Contrairement à la passion, l’amour est d’abord une attirance affective. Et surtout, il fermente, prend du temps. L’autre n’est pas un besoin, ni un objet de désir, il m’est complémentaire. Je lui accorde respect et attention. L’amour ne doit pas être synonyme de dépendance, sinon, vous êtes entrez dans ce fâcheux cercle du désir et bon courage pour vous en sortir.
Si ses définitions sont nombreuses, l’Amour en a cependant une bien réelle : il est un sentiment durable basé sur la connaissance et non le fantasme de l’être aimé.
C : En soi, j’aime l’autre pour ce qu’il est et je ne l’idéalise pas
A : Exactement. Or, cela, il est impossible de le provoquer. C’est quelque chose qui s’entérine dans le quotidien. Si vous faites tout pour rendre l’autre heureux, alors vous êtes dans le désir que celui-ci vous aime. Donc, dans l’amour-passion. Et cela est destructeur. Si l’autre vous aime pour ce que vous êtes dans votre entièreté, même si cela à pris du temps avant d’être considéré, alors vous êtes réellement dans l’amour.
(EXTRAIT 2 chanson d’amour)
C : Oui, sauf que l’on a vu récemment des questionnaires en ligne qui permettrait de tomber amoureux instinctivement
A : Arthur Aron, un spécialiste des relations amoureuses a créé en 1997 un questionnaire de 36 questions qui, selon plusieurs témoignages et expériences, rendrait les deux personnes qui se posent les questions… amoureux. Ces questions ont été créés d’une manière très linéaire dans le sens où elles sont de plus en plus intimes : aimeriez-vous être célèbre ? Dites à votre partenaire ce que vous aimez chez lui…
Comme le rappelle Konbini paru en janvier 2015, c’est en créant un espace de confiance et en parlant de choses intimes que les deux personnes apprennent à se connaitre plus vite. Cette complicité instaurée favoriserait le fait de tomber amoureux.
Selon cette étude, nous pourrions donc oui, provoquer l’amour. Quelques couples se seraient mariés et d’autres seraient tombé amoureux. L’année dernière, la journaliste Mandy Len Catron l’a essayé pour un article publié dans le New York Times et son expérience a été plutot concluante selon ses dires : « vous vous demandez certainement si lui et moi sommes tombés amoureux. Et bien oui. Bien qu’il est difficile de créditer l’étude entièrement, elle nous a donné une manière de commencer une relation de manière réfléchie. Nous avons passé des semaines dans cet espace intime que nous avions créé cette nuit-là, en attendant de voir comment cela évoluera. »
C : Même si cela n’est pas de l’amour-passion, selon cette étude, l’amour sain et durable pourrait se créer, se provoquer
A : Oui, mais encore faut-il y croire. Il faut selon moi distinguer deux choses dans l’expérience amoureuse : l’amour-passion et l’Amour avec un grand « A » comme je vous l’ai exposé, mais aussi l’amour qui fermente avec l’amour parfait.
Tomber amoureux, être amoureux et bien dans son couple, cela demande du temps et beaucoup de casseroles aussi. Si l’amour c’est apprendre à se connaitre d’une manière saine, alors il faut aussi savoir être patient. L’amour-passion lui, est dans l’instantané : dans le tout tout-de-suite. Il est exacerbé. Comment passer le reste de sa vie avec quelqu’un que l’on désire si fort que celui-ci n’est jamais satisfait ? L’amour rationnel, puissant et durable est bien celui qui a traversé différentes épreuves et s’est construit.
Alors chers amoureux, soyez patients. Tout vient à point à qui sait attendre et si cela ne marche pas, c’est qu’un autre amour vous attend.
C : Merci Angèle Chatelier, peut-être à très vite pour une nouvelle chronique amoureuse
Peut-on provoquer l’amour ?
Du philtre d’amour aux méthodes de séduction, qui n’a jamais voulu déclencher le sentiment amoureux chez l’être aimé ? Sans aller jusqu’à des méthodes mystiques, nous verrons avec Angèle Chatelier que de nombreuses personnes se sont déjà posé la question.
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