Corentin : Les Fêtes, c’est terminé pour cette année. Au bagne les sapins de Noel, les soirées parfois chaotiques du Nouvel An. Mais ces fêtes marquées dans le calendrier ne sont fort heureusement pas les seules de l’année. Certains font la fête tous les jours, d’autres de temps en temps. Mais que dit la fête de nous et pourquoi la faisons-nous ? Est-ce un échappatoire ou l’ivresse est-elle le seul moment où nous sommes véritablement avec notre Moi ? Angèle Chatelier s’interroge sur le sens de la fête et comment nous la faisons, le thème du numéro de janvier de Philosophie Magazine.
(EXTRAIT 1)
Angèle : J’ai une bonne nouvelle : « Le plus grand avantage de la gueule de bois est d’ordre spirituel et créatif » pour Alexandre Lacroix, le directeur de la rédaction de Philosophie Magazine. Succédant à l’euphorie de l’ivresse, elle ouvre selon lui à une mélancolie plus profonde, sorte de puits obscurs où l’on peut tirer des visions et des idées nouvelles.
Cet état, est-ce que l’on recherche dans la fête ? Pourquoi la faisons-nous et qu’est-ce qu’elle apporte à notre Moi ?
C : La fête est d’abord ce qui nous permet de nous ouvrir à l’autre
A : Faire la fête, c’est être avec d’autres Moi. Elle inclut donc un face à face, l’obligation notoire de se mélanger à d’autres êtres humains - aussi différents soient-ils. Que ce soit dans les dîners entre amis avec ceux que l’on connaît moins, dans les boites de nuit où se mêlent divers visages, divers destins. S’intéresser à l’autre, car la fête nous y amène, est un gage d’apprentissage de soi. Elle est l’expérience même de l’illégalité, du renversement des hiérarchies, comme l’écrit le, philosophe et enseignant Michael Foessel dans différents essais.
Mais est-ce bien supportable d’être soi avec d’autres que l’on ne connaît pas ? Qui suis-je, moi-même, en société ? Qu’ai-je envie de montrer ?
C : La fête offre aussi parfois des conversations futiles, voire même hypocrites
A : « Tu fais quoi dans la vie ? » « Ah ouais mmh mmh ». La fête a aussi ce petit quelque chose d’obligation : je suis assise à côté de cette personne, la société m’impose de m’intéresser à elle. Sans quoi, je ne serais qu’un être n’acceptant pas l’Autre. Dans une société qui prône le vivre-ensemble, l’incapacité à vivre en ermite - je vous invite en ce sens à réecouter mes différentes chroniques philo dans le Brunch, notamment celle sur l’altruisme -, difficile de se dire que l’enfer c’est les autres.
Mais par cette phrase si célèbre, Sartre n’entendait pas nécessairement par là que l’Homme est un loup pour l’homme au sens Hobbesien du terme, ni qu’être avec l’autre est tout simplement insupportable. Dans son ouvrage “Huis Clos”, il rappelle que l’enfer c’est les autres car ils sont ce qu’il y a de plus important pour notre propre connaissance de nous-mêmes. En ce sens, quand nous pensons sur nous, nous usons des connaissances que les autres ont déjà sur nous. Il le rappelle : « quoi que je dise sur moi, toujours le jugement d’autrui entre dedans ».
C : Et ça, c’est insupportable
A : C’est insupportable de se sentir jugé, car cela nous oblige à nous juger nous même aussi. Et se retrouver seul face à soi-même, c’est quelque chose de bien trop difficile à appréhender.
D’où, aussi, plus légèrement, la fascinante angoisse à devoir parler aux autres en soirée.
Pourquoi ferions-nous la fête, en ce sens ? Si ce n’est que se confronter à un Autre qui me juge ou me ramène à mon propre moi.
C : La fête ne serait autre qu’un échappatoire nécessaire pour juste quelque fois, ne pas être dans une réalité haïssable
A : Au sens très Pascalien du terme : la vie est vaine, je me divertis au quotidien car, par ma conscience de ma vanité, la réalité me serait trop insupportable sans cela. Dans l’ouvrage « Le Temps de la consolation », Michael Foessel rappelle la beauté du clair-obscur que nous offre la fête. Elle « fait varier librement les impératifs du jour », dit-il. Elle permet d’oublier, de mourir un instant, comme le chante Thérapie Taxi
(EXTRAIT 2)
« Pour faire la fête, il faut cesser de se soucier de l’avenir, ne surtout pas penser au lendemain » écrit de son côté Alexandre Lacroix dans Philosophie Magazine. Et il note là quelque chose d’important : la notion de savoir bien faire la fête. Pourquoi je sors ce soir ? Ai-je vraiment envie de voir ces personnes ?
(EXTRAIT 3)
Si le but de votre soirée est l’ivresse totale pour oublier la vanité de votre existence ou de votre situation, la fête ne sera pas belle. Voire même, mortifère. Ne pas se soucier de l’avenir, comme le dit Alexandre Lacroix peut avoir des bénéfices : cela permet de vivre, tout simplement. Le divertissement qu’est un bon verre entre amis rend la vie plus douce, plus supportable, plus mélodieuse. Il y a bien une chose qui est des plus angoissantes : celle de reprendre conscience de la vie réelle PENDANT la fête. Cela vous est peut être arrivé : vous êtes en train de danser, le regard à l’abandon, démuni et vous reprenez vos esprits : que fais-je là ? Pourquoi j’y suis ? Ai-je vraiment envie d’y être ? C’est absolument insupportable. C’est le conscient qui ressurgit.
C : SI je comprends bien, il devrait presque y avoir un manuel pour bien faire la fête
A : La faire en soi, et pour soi. La fête est extrêmement contradictoire : d’un côté, elle provoque un oubli de soi car elle échappe à la réalité. De l’autre, notre Moi est confronté à l’Autre et à son jugement. C’est souvent insupportable. Mais comme l’écrit l’écrivain Hakim Bey, elle donne forme et sens à la totalité de la vie. Il faut donc faire la fête mais la faire bien. Savoir pourquoi on l’a fait. Si c’est un besoin primaire d’émancipation face à une réalité épouvantable, le retour à cette même réalité sera d’autant plus insoutenable. La fête doit être faite en vous.
Malheureusement, il arrive que nous n’ayons pas le choix : tu parlais des fêtes de Noel en préambule, c’est une obligation du calendrier. Ce soir, 31 décembre, tu devras faire la fête. Tu devras t’échapper, tu devras t’en aller de ton conscient, de ta réalité.
Mais tant que l’on a conscience du sens de la fête, à mon sens, elle n’en sera que plus belle
C : Merci Angèle Chatelier, à la tienne, et à très vite !
Pourquoi faisons-nous la fête ?
La fête est presque devenue un rituel pour beaucoup d’entre nous, notamment en fin d’année. Pourtant, quand on y réfléchit bien, c’est loin d’être un comportement naturel ! C’est ce qui a amené Angèle Chatelier à se poser la question du pourquoi de la fête. Et c’est tout l’objet de cette chronique !
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