Corentin : Un état de complète satisfaction. C’est comme ça que la philosophie définit le bonheur. Mais existe-t-il réellement ? Et si oui, pourquoi s’interdit-on parfois d’y accéder ? Angèle Chatelier, notre philosophe attitrée aux Croissants s’est interrogée sur la question.
Angèle : Vous êtes sûrement tombés sur des personnes dans votre entourage qui font tout pour fuir le bonheur. Peur d’être heureux, ne pas voir ce qui est bien pour nous, ne pas l’accepter… les raisons abondent pour que nous soyons nombreux à s’interdire l’exercice même du bonheur.
Mais faut-il déjà en rappeler effectivement Corentin sa définition. Car pour nombre de philosophes, il est le but même de la vie humaine. Etre dans le bonheur, c’est être dans la plénitude absolue. La satisfaction complète, tu le disais.
C : Mais c’est un état à distinguer de celui du plaisir.
A : Le plaisir est purement éphémère. Il se caractérise par la passion et par le cercle insatiable du désir, je vous le disais dans une précédente chronique. C’est le cercle du désir de Schopenhauer : nous passons notre temps à désirer quelque chose, nous satisfaisons ce désir et immédiatement, un autre désir naît. Le plaisir est alors le synonyme même du malheur. De l’attente, de l’insatisfaction constante et totale.
Une fois que nous avons défini le bonheur - en quelques secondes, je vous l’accorde -, intéressons-nous maintenant à sa psychologie intrinsèque. Car vous, moi, nous nous interdisons parfois d’être heureux sans même nous en rendre compte
C : On peut distinguer différentes catégories de personnes qui ne s’autorisent pas à accéder au bonheur
A : Les grands control freak, si je puis dire, dans un premier temps. « Je suis heureuse là maintenant ? Bah non, ça ne va pas durer. Alors autant que je me prépare ». Tout comme l’été, nous préparons l’hiver. Cet état de conscience et d’anticipation empêche de profiter pleinement de son bonheur instantané. C’est la définition même du pessimisme. Mais, comment se dire libre dans une telle situation ? Pour Sartre ou Kierkegaard par exemple, l’Homme est libre lorsqu’il réalise son destin en oeuvrant et non en le subissant.
C : Il y a aussi ceux pour qui la vanité prend trop de place
A : C’est la philosophie de Blaise Pascal : l’Homme ne cesse de lutter contre son malheur métaphysique. Pourquoi suis-je là ? Pourquoi je souffre ? Si certains font le pari de rendre leur vie plus belle, d’autres n’y voient pas l’issue ni le sens. Les réflexions vont même plus loin : comment réussir à être heureux lorsque des personnes innocentes meurent sous les balles, quand la crise climatique ravagera le monde. Pour Pascal, l’Homme a conscience de son néant et fuit grâce à ce qu’il appelle le divertissement. Le travail, les sorties, les amis… Des choses inventées pour que l’Homme survive dans sa propre vie. En ce sens, nous serions tous des suicidaires en puissance. Pour Kant, il y a trop de souffrances dans le fait même d’exister, le bonheur ne serait donc qu’un idéal de l’imagination qui permettrait d’être présent au monde, malgré tout.
Mais comme le rappelle Psychologie Magazine, ces difficultés s’appuie plutôt sur le problème intrinsèque à nous-même à accéder au bonheur. Plutôt que de se remettre en cause, mieux vaut critiquer l’idée même du bonheur.
(EXTRAIT 1 Je suis triste
https://www.youtube.com/watch?v=MM2O8LH7xe4)
C : D’autres pensent ne pas mériter le bonheur
A : Cette question est à la base même de la philosophie : le bonheur se mérite-t-il ? Il existe donc, oui, dans ces catégories de personnes qui s’interdisent d’être heureux, les grands coupables. Ceux qui ne cessent de culpabiliser. La vie m’a offert un toit, des amis, un travail. Je ne peux pas en demander plus. Ou bien, j’ai fait du mal à une personne, je ne mérite pas, moi, d’être heureux aujourd’hui.
En philosophie, on se demande alors si le bonheur doit être une récompense. Pour le stoïcisme, oui. Le bonheur est souverain, je dois accepter ce qui ne dépend pas de moi et pour cela, je dois vivre - raisonnablement -. La raison qui, je le rappelle, se définit par le fait de faire abstraction de ses préjugés, émotions et pulsions pour distinguer le bien du mal. Savoir peser le pour et le contre. Le bonheur serait alors la récompense d’une vie raisonnable.
(EXTRAIT 2 Cali c’est quand le bonheur)
C : Bon il a raison Cali là. A défaut d’aller mourir tout de suite si je pense que ma vie est vaine ou qu’accéder au bonheur raisonnablement est trop compliqué, aurais-tu des solutions pour apprendre à être heureux ? C’est quand le bonheur ???
A : Tout dépend de comment vous vivez le sens même de votre existence. Car il ne faut pas non plus être dans la chimère. Pour certains philosophes, il se pourrait bien que le bonheur soit inatteignable, impossible à réaliser. C’est là toute la difficulté du philosophe : savoir alors que sa vie est vaine et qu’on y trouve son compte que grâce au divertissement.
Cependant, il est tout à fait possible aussi d’acquérir l’optimisme en se disant que pour apprécier au mieux le bonheur, il faut avoir été malheureux. Si chacun était heureux, toute existence serait fade.
La solution pour apprendre à être heureux résiderait donc dans la sagesse, le but ultime de la philosophie. Le sage est prudent, raisonnable et agit avec discernement. Être sage, ce peut aussi être dans un malheur profond et se dire que rien n’arrive par hasard. Tout à une explication, un sens. Enfin, se dire qu’un malheur ne peut que nous amener vers un autre bonheur.
(EXTRAIT 3 Don’t Worry, be Happy)
C : Merci Angèle Chatelier. J’espère que les auditeurs des Croissants seront heureux d’avoir appris tout cela. A très vite
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