Corentin : 7 millions de personnes seraient tatouées en France. Le tatouage dit beaucoup de ce que nous sommes : pour certains, c’est l’esthétique qui prime, pour d’autres, c’est le message qu’il revendique, son symbolisme. Mais qu’est-ce que le tatouage dit de nous ? Est-il encore mal vu ? Angèle Chatelier s’intéresse à cet art ancestral.
Angèle : 80% des 18-24 ans estiment que le tatouage est un art. C’est en tout cas ce qu’a révélé une étude réalisée par le SNAT, le Syndicat National des artistes tatoueurs en 2016. Mais son but initial n’était pas celui-ci. A l’origine, c’était une manière de signifier son appartenance à un groupe ou pour marquer les esclaves et les prisonniers.
C : Pendant longtemps le tatouage a été mal aimé
A : « Les images négatives prédominent », notait Marie Cipriani-Crauste, psychologue au Centre d’ethnologie français. Pourquoi ? Parce que les tatouages ont longtemps été associés à de la délinquance ou au refus de se plier aux normes d’une société, dit-elle. Mais nous l’avons vu à travers les quelques chiffres que nous avons évoqué, de plus en plus de personnes se font tatouer et les raisons diffèrent entre-elles.
(EXTRAIT 1, Bertrand Belin)
C : Sur la vieille peau de l’homme il y a une dame aux cheveux longs”, chante Bertrand Belin dans son titre “Le Tatouage”. Et cet homme hypothétique dans la chanson, a peut-être voulu se sentir libre en le faisant, n’est-ce pas Angèle ?
A : Oui, il convient d’abord de se demander si le tatouage ne peut pas être vu comme une forme de liberté.
Se faire tatouer demande un certain courage : celui de graver ad vitam eternam sur sa peau un motif, plus ou moins gros. Et en le faisant, on se donne cette liberté. On marque son corps à l’encre noir. Pour se faire valoir ou faire valoir son identité. En 2010, l’étudiante à l’Institut Politique de Lyon, Mathilde Admirat rédigeait un mémoire fascinant intitulé « Le tatouage ou l’illusion de liberté ». Pour elle, le tatouage permet avant tout une construction de l’identité pour soi, en dehors de toute norme sociale. En ce sens, le tatouage pourrait être alors une tentative de lutte contre la condition humaine, mais de l’Homme en tant qu’être social, appartenant à une société.
C : Ce qui rappelle le Contrat Social de Rousseau
A : Difficile de résumer ce pavé rempli de concepts pour ceux qui ne l’auraient pas lu mais Rousseau, ici, s’est attelé à établir un idéal Républicain et pourquoi l’Homme s’attache à se régir à travers un souverain. Car l’Etat enlève à l’Homme sa liberté. Mais l’Homme saurait qu’il faut le faire pour demeurer libre.
C : Oui, vaut mieux lire l’ouvrage pour comprendre
A : Car oui, revenons-en aux tatouages. Nous l’avons dit au début, le tatouage a souvent été et est encore assez mal vu. Comme si en avoir ferait de nous une mauvaise personne, appartenant à une communauté pas tout à fait présentable. Or, s’en faire, serait aller faire un pied de nez aux normes sociales, aux conventions esthétiques et morales que l’on voudrait nous faire porter. En ce sens, le tatouage serait cette liberté de pouvoir s’extraire de ces normes.
(EXTRAIT 2, I’m Free de Stevie Wonder)
C : Libre comme Stevie Wonder quoi. Mais avant de voir que le tatouage est aussi ce qui permet la construction et l’identité de soi, parlons aussi d’une autre thèse : se tatouer serait tout le contraire d’être libre.
A : Je peux commencer par une première chose, somme toute très simple, vous me direz : rechercher la liberté, est-ce vraiment être libre ? Si se faire tatouer est sortir de toute norme sociale pour se sentir plus libre en soi, c’est rechercher intrinsèquement cette liberté. Or, en philosophie, rechercher ou désirer peut être la source même du malheur de l’Homme. C’est être enfermé dans cette recherche.
C : Ce qui rappelle le cercle du désir de Schopenhauer
A : Nous passons notre existence à désirer quelque chose, on satisfait ce désir, et on re-désire ensuite. Nous sommes constamment insatisfaits. En ce sens, rechercher la liberté serait la bafouer en elle-même. Et puis on pourrait même aller plus loin : faire un tatouage, en entraîne d’autres, puis d’autres, encore et encore… On n’est jamais satisfait, donc on ne peut pas être libre.
C : Et il y a aussi ce que la société nous renvoie lorsque l’on est tatoué
A : De nombreux métiers ferment leurs portes à des personnes qui ont des tatouages apparents. C’est même parfois un critère d’embauche. C’est vrai que personnellement, je me vois mal vendeuse chez Dior avec mon énorme tatouage de femme en tête de fleurs sur le bras. Ca sonnerait faux. Avoir des tatouages apparents, donc, enlèverait cette liberté de pouvoir faire ce que l’on veut, au travail du moins.
C : Oui, mais on peut faire un tatouage discret ?
A : Oui mais si on va dans le sens de ce que je viens de dire, avoir un tatouage discret, donc par volonté de ne pas le montrer, c’est aussi se plier aux normes sociales qui voudraient qu’on ne le montre pas. Vous me suivez ?
Intéressons-nous maintenant au tatouage en tant que construction de soi. Le tatouage permettrait de se sentir unique, nous l’avons dit, et donc de s’affirmer soi, en tant que Moi, dans une société. Le marquage corporel serait donc une revendication de l’appartenance à soi.
C : Ce serait alors, comme une crise de l’existence.
A : L’étudiante Mathilde Admirat le dit dans son mémoire : Au delà de l’aspect psychologique d’affirmation de soi, le tatouage, vécu comme un « passage à l’action », s’inscrit dans une volonté de construction identitaire.
Pour finir, et comme ouverture à cette grande interrogation sur les tatouages, posons nous cette question : le tatouage ne pourrait-il pas être perçu comme une tentative de lutte contre la condition humaine, non pas par sa condition d’homme mortel, mais plutôt comme Être social ?
Vous avez 4h…
C : Ouh la la. Je vais en prendre 8h personnellement. Merci beaucoup Angèle Chatelier d’avoir philosophé avec nous sur le tatouage. A très vite !
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