«Tu penses parfois que tu n’es rien ? Parfois, je me dis que je ne suis rien. Inutile.
En vérité, l’héroïne de Muriel, la vingtaine avachie, jeune femme ronde et solitaire écrasée entre un père qui surjoue les notables et une mère en burn out dès la première scène, ne trouvera pas l’amour. Mais elle se trouvera elle-même, jusqu’à arrêter d’écouter les chansons d’ABBA qui ont pendant tant d’années été son seul refuge. À commencer par Dancing Queen, son hymne, qui traverse le film australien de Paul John Hogan dans plusieurs versions que le groupe a laissées exister à un moment bien particulier de son retour au premier plan. Nous sommes en 1994, deux ans après la parution d’ABBA Gold, best of savamment travaillé pour faire briller le talent de compositeurs du groupe suédois à ceux qui acceptaient enfin de se pencher dessus autant que pour faire danser celles et ceux qui n’avaient jamais arrêté (lire l’épisode 2, « “Gold” : ABBA, un peu plus près des étoiles »). Même quand le groupe semblait définitivement enterré dans le sable du mauvais goût dans les années 1980 (lire l’épisode 1, « ABBA, le groupe qui ne voulait pas mourir »).
« Les gens se sont toujours tournés vers ABBA comme une échappatoire, m’a expliqué Carl Magnus Palm, leur biographe le plus sérieux, depuis son bureau de Stockholm. Leur image a toujours été très accueillante, hospitalière. On n’a pas à être cool pour aimer ABBA, on peut même être la personne la moins cool du monde et s’y sentir bien. C’est une musique réconfortante, une safe place. Même si les chansons sont tristes, il y a une énergie qui te tire de tes problèmes de tous les jours. » Même au sommet de leur gloire délirante dans les années 1970, les quatre membres d’ABBA ont d’ailleurs cultivé une image d’antistars ayant gardé les pieds sur terre, resté vivre en Suède des vies chiches en scandales, sans orgies de cocaïne ni chambres d’hôtels dévastées. « ABBA raconte l’histoire de tout le monde, pas la leur, continue Carl Magnus Palm. Avec des enfants, des divorces, des choses de tous les jours… En matière d’image et de personnalités, ils sont restés humbles et un peu anonymes à travers leur carrière. Leur public a toujours trouvé ça rassurant. »
Le personnage de Muriel (c’est le premier grand rôle de Toni Collette) personnifie à merveille ce fan moyen attaché aux chansons d’ABBA en 1994 comme en 1982 : elle a toujours la robe qui ne va pas, la coupe de cheveux qui ne va pas, et elle est totalement elle-même au milieu d’un groupe de pseudo-amies qui la méprisent entre deux séances de shopping qui les font ressembler à des pages de magazine plastifiées.