Et enfin il parla. Muet comme une carpe royale depuis les révélations du Monde mercredi dernier et claquemuré en son palais de l’Élysée, le président de la République a pris la parole. « Nul n’est au-dessus des lois », a-t-il dit. Et il « juge le comportement d’Alexandre Benalla inacceptable ». Entre guillemets et en italique, comme il se doit pour bien signifier que les propos sortent de la bouche même d’Emmanuel Macron. Mais vous n’avez pas rêvé : non, le président de la République ne s’est pas exprimé. Point de communiqué de l’Élysée, point d’allocution télévisée, de conférence de presse ni de tweet. Rien de tout cela, mais sa parole a bel et bien été portée et rapportée. Cette personne, on connaît son identité, dévoilée par France Info, Le Figaro, Libération, Le Monde, Europe 1, etc. C’est, roulements de tambour, « l’un de ses proches ».
Dans la soirée de dimanche, des articles se mettent à fleurir. France Info : « Affaire Benalla : Emmanuel Macron “juge le comportement d’Alexandre Benalla inacceptable” et “parlera quand il le jugera utile”, selon un proche du président. » Le Figaro : « Affaire Benalla : Macron reconnaît “des dysfonctionnements à l’Élysée”. » Et ainsi de suite. C’est bon, ça, coco, enfin une parole présidentielle, toute la presse court après depuis mercredi. Jusqu’ici, il avait fallu se contenter d’un pauvre « La République, elle est inaltérable » lâché jeudi par Emmanuel Macron parti en Dordogne inaugurer des timbres-poste. Est-ce l’opiniâtreté des journalistes qui a payé ? Est-ce qu’à force de sonner dans les poches élyséennes, des portables ont été décrochés ? Eh bien non. C’est le résultat de la contre-offensive de com déclenchée par l’Élysée. Car le proche chargé de chuchoter la parole présidentielle à l’oreille des journalistes n’est autre que Bruno Roger-Petit, le porte-parole de l’Élysée. Selon nos informations, c’est en effet lui qui, personnellement, a appelé plusieurs journalistes pour faire état d’une réunion qui s’est tenue dimanche à l’Élysée et rapporter les propos présidentiels.
Moi, c’est la première fois que l’Élysée m’appelle spontanément. Ce n’est pas du “on”, ce n’est pas non plus du “off” puisque c’est une parole autorisée.
La pratique est habituelle pour les journalistes chargés de suivre l’Élysée, mais elle est rarissime avec Emmanuel Macron. « Moi, explique l’un de ceux qui a reçu ce coup de fil, c’est la première fois que l’Élysée m’appelle spontanément. Ce n’est pas du “on”, ce n’est pas non plus du “off” puisque c’est une parole autorisée. » Plusieurs journalistes ont ainsi été appelés pour se voir tous confier les mêmes mots : la réunion avec le Premier ministre Édouard Philippe, le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb ainsi que, le président du parti présidentiel Christophe Castaner. Et les propos qu’aurait tenus Emmanuel Macron dans ladite réunion : « Nul n’est au-dessus des lois », l’attitude de Benalla est « choquante et inacceptable », il y a des « dysfonctionnements à l’Élysée » et Alexis Kohler, secrétaire général, est chargé « de réorganiser l’ensemble des services de l’Élysée », etc. Autant de propos qui n’engagent à rien et ne répondent à aucune question. « C’était une usine à éléments de langage », rapporte aux Jours un des journalistes qui a eu droit au coup de fil de l’Élysée. On a bien compris le but recherché : le président de la République n’est pas dans sa tour d’ivoire, il comprend bien le léger souci et ça va chier des pointes (on résume). Le tout, évidemment, avant que Gérard Collomb soit auditionné à l’Assemblée nationale (on ne va pas manquer de vous raconter tout ça très vite dans un nouvel épisode de L’homme du Président).
Ça, c’était le premier étage de la contre-offensive, assez voyant, il est vrai. Le deuxième étage l’était plus encore : l’expédition au front médiatique de la chair à canon macroniste. Et ce lundi matin, ils étaient partout : Christophe Castaner sur RMC, Benjamin Griveaux sur RTL, le président de l’Assemblée nationale François de Rugy sur France Inter, Aurore Bergé sur Europe 1, Yaël Braun-Pivet, présidente (La République en marche) de la commission d’enquête parlementaire sur France Info. Enfin, la majorité présidentielle qu’on dit sacrément embêtée par toute cette histoire, s’exprime. Enfin on va comprendre, enfin on va savoir.
Mais évidemment, c’est la grande machine à débiter les éléments de langage déjà mâchés la veille auprès des journalistes qui s’est mise en branle. Aurore Bergé s’offusquant que l’opposition se serve de l’affaire Benalla pour se débarrasser l’examen de la réforme constitutionnelle (de fait repoussé à la rentrée) : « Ils essayent de faire une affaire politique du fait d’un individu qui a commis un acte isolé inacceptable condamné par le gouvernement, le Président et la majorité. » Bouh les vilains. On a eu aussi Benjamin Griveaux assurant qu’« une affaire d’État, c’est quand il y a de l’opacité » (et bien justement, comment te dire ?). Ou Yaël Braun-Pivet s’agaçant que l’opposition veuille auditionner Emmanuel Macron (« Le chef de l’État ne peut pas être entendu constitutionnellement et institutionnellement devant le Parlement ») alors qu’un constitutionnaliste venait de dire l’inverse à l’antenne. Mais le plus beau, comme d’habitude, c’est Christophe Castaner. Interrogé sur la présence d’Alexandre Benalla dans le bus des Bleus sur les Champs-Élysées le 15 juillet, il a eu cette fulgurance : « J’ai entendu dire qu’il était en charge de la logistique des bagages. » Bravo, inspecteur Castaner. Finalement, on préférait quand ils se tenaient cois.