Découragés et culpabilisés, les enquêteurs du 36 quai des Orfèvres qui se sont succédé se rendent à l’évidence. Ils sont passés à côté. Ils l’ont raté. Ils sont pourtant au courant de ses problèmes de peau « grêlée » en 1986, sûrement à cause d’éruptions de boutons passagères, qui se sont estompées à partir de 1987. Ils connaissent son année approximative de naissance (entre 1956 et 1962), sa taille (plus d’1,80 mètre), son groupe sanguin (A+), ses grosses mains rugueuses, son visage ovale, son menton allongé, ses yeux marron enfoncés et cernés, ses cigarettes de type Marlboro, son véhicule Volvo 340 utilisé en juin 1994, sa revue porno sado-maso préférée (Bédé). Ils connaissent son goût pour les tenues sportives (blousons, jean, baskets), parfois paramilitaires (saharienne kaki, ceinture à poches) et sa propension à se prendre pour un policier, dont il possède tout l’attirail : carte barrée de tricolore, paire de menottes, talkie-walkie, arme – vraie ou factice – et même holster. Ils connaissent son patronyme imaginaire, « Élie Lauringe ». Ils savent presque tout du Grêlé, sauf son véritable nom.

Conscients d’avoir loupé un indice ou une occasion de le « serrer », peinés d’avoir manqué de chance, les policiers de la brigade criminelle, anciens et actuels, ne s’expliquent pas la « disparition » du tueur depuis 1994. Mais ressassent des hypothèses :
- il est quelque part en prison ;
- il est parti à l’étranger ;
- il est mort et enterré ;
- il opère différemment ;
- il a changé de vie et cessé de tuer.
On a bien eu en France le gendarme de l’Oise tueur en série, on peut très bien imaginer un policier, ou un gendarme, au courant de nos techniques.
Taraudé par le double meurtre du Marais, à Paris (lire l’épisode 4, « Les suppliciés du Marais »), Alain Vasquez bute toujours sur les mêmes questions : « Cette adresse du 13 rue Rubens à Paris donnée par Élie Lauringe, il a dû la connaître. Mais était-ce à l’époque du squat ou avant, lorsque c’était un local de la P.P. où les nouveaux policiers venaient se faire photographier ? » (lire l’épisode 8, « De qui “Élie Lauringe” est-il le nom ? ») Il se demande aujourd’hui si « ce type n’a pas arrêté ou agi autrement à partir de 1994, quand ça a commencé à chauffer pour son matricule avec les débuts de l’identification par ADN ». Il ne peut s’empêcher de penser qu’il peut s’agir d’un ancien collègue car, dit-il, « on a des anciens paras ou légionnaires (dans la police, ndlr) ». « On a bien eu en France le gendarme de l’Oise tueur en série, on peut très bien imaginer un policier, ou un gendarme, au courant de nos techniques. »

Luc Richard-Bloch partage ce sentiment et attribue au Grêlé « un métier d’autorité, vigile ou militaire, lié à des sports et des techniques commandos, car les nœuds, on ne les apprend pas à l’école. Il y a des violeurs dans nos armées ». À 54 ans, le frère de Cécile, tuée le 5 mai 1986, revoit, tel un fantôme, le visage de cet homme, de son âge à peu près, chaque matin en prenant l’ascenseur (lire l’épisode 1, « “Fillette, Bloch, Cécile, 11 ans” »).