Depuis quatre épisodes, Bioman vous dévoile les origines, plus ou moins locales, des produits que vous avalez. Mais d’où vient Bioman lui-même ? Roulement de tambour : de Grande-Synthe, près de Dunkerque, dans le Nord. S’il fallait élire une spécialité du coin (lire l’épisode 2, « Avec le saumon, y’a de quoi se faire du sushi »), ce serait sûrement la crevette grise. Ici, comme sur la proche côte belge, on l’aime beaucoup, le plus souvent sur du pain ou en « croquette », c’est-à-dire panée avec de la sauce béchamel. C’est d’ailleurs dans une commune de l’agglomération, Leffrinckoucke, que le très sérieux Championnat du monde de décorticage de crevettes grises se déroule chaque année.
À l’occasion de la dernière édition de ce championnat international du coin, votre dévoué Bioman a appris dans la presse locale que les crevettes décortiquées dans le cadre du concours ne provenaient pas, ô surprise, des côtes nordistes, mais de celles des Pays-Bas. Pourquoi diable acheter des crustacés aux Néerlandais, qui pêchent la même espèce dans la même mer du Nord que leurs homologues français ?
Pour le comprendre, penchons-nous sur le marché de la crevette grise. Il faut d’abord savoir qu’il est ultradominé depuis les années 2000 par les Pays-Bas, et particulièrement par deux entreprises, Heiploeg et Klaas Puul, qui contrôlent 80 % du business dans l’Union européenne. Leur puissance est telle que la pêche s’effondre dans les autres pays producteurs, notamment en France. La quantité débarquée en 2017 dans les ports hexagonaux ne dépassait ainsi pas les 500 tonnes, d’après un rapport commandé par FranceAgriMer. La même année, les Néerlandais affichaient 16 500 tonnes capturées.
Heiploeg et Klaas Puul vendent très majoritairement des crevettes grises épluchées : 90 % des bestioles consommées en Europe sont ainsi vendues prêtes à l’emploi. Mais qui se charge de ce fastidieux épluchage ? Des ouvriers et ouvrières marocains. L’aller-retour vers le Maghreb ajoute certes quelques milliers de kilomètres, mais cela revient à tellement moins cher… Un rapport réalisé en 2011 à la demande de la commission pêche du Parlement européen explique ainsi : « L’ensemble du processus d’épluchage (transport en provenance et à destination du Maroc, épluchage au Maroc) dure dix à vingt jours. Les crevettes épluchées sont ensuite renvoyées aux Pays-Bas, où les transformateurs les emballent et les livrent sur les marchés européens (Belgique, Pays-Bas, Allemagne, France). » Waouh.