Circuler dans la région de Bure, c’est parcourir un univers étrange où, sous une apparence tranquille, les habitants sont en permanence sur le qui-vive depuis déjà vingt ans quand, le 3 août 1999, l’installation d’un laboratoire de l’Andra fut actée par un décret du gouvernement Jospin (lire l’épisode 1, « Le nucléaire comme seul horizon »). Et lorsque, à dix kilomètres à peine de là, on frappe à la porte de Marie-José à Montiers-sur-Saulx (Meuse) pour s’enquérir de Cigéo, le futur site d’enfouissement des déchets nucléaires, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on est fraîchement reçu. « Trois personnes sont déjà venues me voir pour me demander si j’étais au courant du projet Cigéo. Ils ont pris des notes sur leur téléphone… C’étaient des gens qui enquêtaient pour un sondage. J’ai dit que j’étais contre ! »
Il faut dire que Marie-José, une ancienne employée de la Poste qui s’est réinstallée dans son village natal « pour le cadre de vie », était loin de s’imaginer qu’un tel aréopage de sondeurs, de forces policières, d’opposants et de médias déferlerait dans sa commune meusienne de 400 habitants. « Ils ont bien embobiné les gens ! Les autres départements se sont mieux défendus, mieux qu’ici en tout cas, finit par lâcher Marie-José, quelque peu amère, en ouvrant sa porte. Moi, les déchets nucléaires, cela me fait un peu peur. Et si cela continue comme ça, je crains que ma commune ne devienne un désert, même si je ne serai plus là pour le voir. » Montiers-sur-Saulx a ainsi perdu 10 % de sa population depuis le dernier recensement : il n’y a pas de boucherie, pas de boulangerie et plus de collège depuis un an. Le projet de centre de stockage de 85 000 m3 de déchets radiotoxiques à plus de 500 mètres de profondeur n’aide pas vraiment. « Les jeunes sont partis. Ici, il n’y a plus que des vieux et les maisons sont à vendre », regrette Marie-José.
C’est pour compenser toutes ces nuisances et ces craintes liées à la peur de voir disparaître tous les villages des alentours – péjorativement qualifiées par l’industrie de « syndrome Nimby » – que les trois grands producteurs de déchets radioactifs, EDF, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et Orano (ex-Areva), versent 30 millions d’euros par an à chaque département (Meuse et Haute-Marne) par le biais de deux groupements d’intérêt public : le GIP Haute-Marne et le GIP Objectif Meuse. Une véritable manne : 30 millions d’euros, c’est près de la moitié de ce que la Haute-Marne