Situé au sommet d’une colline, Cigéo, le projet de Centre de stockage industriel géologique de Bure, dans la Meuse, est une citadelle gardée vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Avec ses quelques gamins qui font du vélo aux alentours, ses bois et ses terres agricoles, ses riverains, ses employés parfois abîmés par le chômage ou les petits boulots et ses patrouilles de gendarmes chargés de surveiller en jeep ou en moto-cross tous les faits et gestes dans un rayon de dix kilomètres, le laboratoire de l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) pourrait servir de décor à une série américaine ultraparanoïaque.
Au Bindeuil, le restaurant construit par la commune grâce au groupement d’intérêt public Objectif Meuse – la commune a financé et gère le restaurant d’entreprise de l’Andra, au titre des retombées économiques (lire l’épisode 3, « Bure et l’argent de Bure ») –, il y a deux salles : le self, fréquenté par les gendarmes et où l’on sert un fameux couscous-poulet, et le restaurant d’affaires, destiné aux VIP et où l’on sert un fabuleux flétan cuit à point. Sur le prospectus, on a beau vanter la beauté du lieu avec chambre avec vue sur le centre de l’Andra dans l’espoir d’attirer les touristes, c’est un bien drôle d’endroit pour un voyage de noces. Pour les opposants, c’est même à se demander si le démon de la radioactivité ne risque pas un jour de resurgir de la boîte où l’on voudrait l’enfermer. À l’heure actuelle, il n’y pas un gramme de déchets nucléaires en Lorraine. Mais elle va bientôt les accueillir et, depuis vingt-cinq ans, le centre alimente toutes les rumeurs. C’est avec toutes ces théories complotistes en tête que nous avons calé une visite, bien décidés à nous forger une opinion par nous-mêmes.
Chargé de communication au sein de l’Andra, Mathieu Saint-Louis nous attend pour la visite. Une fois passée l’enceinte clôturée du laboratoire, on enfile casque de chantier, chaussures de sécurité, ceinture dotée d’un « Apeva » (un appareil d’évacuation autonome qui permet une assistance respiratoire) et d’un dispositif de géolocalisation… « Ici, on ne badine pas avec la sécurité », déclare ce Québécois venu de la région de l’Abitibi. Puis on entre dans un ascenseur rouge exigu pour atteindre, à 500 mètres de profondeur, la couche argileuse, qui sera le futur tombeau de nos déchets ultimes.
C’est là que reposera tout ce que le nucléaire civil et militaire aura produit de plus dangereux en France, depuis les années 1950 jusqu’au démantèlement du parc actuel, entreposé pour l’instant à La Hague (Manche), Marcoule (Gard), Cadarache (Bouches-du-Rhône) et Valduc (Côte-d’Or)… 75 000 mètres cubes de colis de moyenne activité, pièces métalliques entourant les combustibles, déchets d’exploitation et de démantèlement du cœur des réacteurs.