Rocé est un garçon très cohérent et très têtu. J’ai déjà décrit, dans Chant/Contrechamp, comment son rap caractériel s’est construit loin des modes depuis le début des années 2000. J’avais aussi évoqué furtivement un travail qui occupe Rocé depuis plusieurs années et qu’il est en train de finaliser en ce moment, pour une sortie l’an prochain : une compilation consacrée à la chanson francophone parallèle, celle qui gratte et dérange, par sa musique libre et par ses paroles. Des compositions qui lui ressemblent : curieuses, grondantes, conscientes des frictions du monde.
Certains de ces disques sont empilés en ce moment sur le bureau du rappeur, installé au-dessus de La Maroquinerie, sur les hauteurs du quartier parisien de Ménilmontant. C’est le butin d’une histoire qui a commencé à l’époque d’Identité en crescendo (lire l’épisode 11, « Dix ans après, Rocé rosse encore l’identité »), son crucial deuxième album. Nous sommes au milieu des années 2000 et le rap français a lassé Rocé. Les parrains fondateurs (Fabe, NTM ou IAM) ont laissé la place à un rap plus prévisible, qu’il soit présentable (Diam’s, 113) ou pas (Booba, Mafia K’1 Fry). Rocé cherche donc ailleurs « le côté damnés de la terre » qui lui manque. Dans le jazz et le free jazz des années 1970 surtout, dans la poésie et le spoken word aussi… Un monde méconnu et désuni qui fut le punk d’avant le punk, un recommencement à coup de batterie et de saxophone.
Mais ce monde-là ne se trouve pas en tapant des mots-clés dans Google, il est enfoui sous la surface. « J’ai pas mal d’amis collectionneurs de disques et, moi aussi, j’ai fait énormément de vide-greniers et de brocantes », m’a-t-il expliqué récemment, en cherchant les mots pour mettre de la précision sur sa façon passionnelle d’aborder tout ce qui touche à la musique. « Au début, c’était en quête de samples, façon rap, puis peu à peu en quête d’autre chose. Je trouve qu’il y a un côté trop facile dans la boucle, je cherchais des rythmiques qui allaient plus loin. C’est ce qui m’a emmené vers le free jazz. Je me suis alors enfoncé dans la poussière, à la recherche de disques que les diggers ne cherchent pas, parce qu’il n’y a pas de groove à en tirer. Simplement parce que ce n’est pas leur culture. »

Deux chansons ont amené Rocé à se dire qu’il y avait « quelque chose à faire » de cette démarche désordonnée : Répression, de Colette Magny, et Je suis un sauvage, par Alfred Panou et l’Art Ensemble of Chicago.