Les mauvaises nouvelles planétaires s’accumulent, on vous en livre d’ailleurs une chaque midi dans cette obsession. Mises bout à bout, ces infos laissent craindre des « effets dominos » qui pourraient menacer la survie humaine dans de vastes parties du globe. Il n’est plus insensé de s’attendre au pire. Cela fait un moment qu’on les connaît, ces menaces. Mais jusque-là, les rares inquiets gueulaient dans le désert ou dans les forêts primaires (lire l’épisode 1, « La fête est finie »). En 1994, l’anthropologue français Claude Lévi-Strauss évoquait déjà notre chute prochaine dans l’un de ses derniers livres, Saudades do Brasil (Plon, 1994). Il s’agit d’un album de photos choisies parmi ses différentes expéditions. Ces clichés sont souvent les dernières traces de sociétés, de mondes perdus. D’autres suivront, notamment les sociétés occidentales, assurait alors l’auteur de Tristes Tropiques : « Dépouillés des valeurs dont nous étions épris – pureté de l’eau et de l’air, grâces de la nature, diversité des espèces animales et végétales –, tous indiens désormais, nous sommes en train de faire de nous-mêmes ce que nous avons fait d’eux. » À le (re)lire, une évidence s’impose. Pour mieux comprendre ce qui nous attend, il nous faut s’intéresser (enfin) à nos contemporains – humains et non humains – qui sont déjà confrontés aux effondrements. Et à bien y regarder, ces « sentinelles de l’effondrement » sont nombreuses, en France y compris.
Ainsi, le biologiste Yan Ropert-Coudert est spécialiste des manchots, notamment ceux qui vivent près de la base scientifique française Dumont-d’Urville, en terre Adélie, une région de l’Antarctique. Chaque année, son équipe y fait un suivi de la reproduction des manchots Adélie pendant trois ou quatre mois. Les bonnes années, plusieurs dizaines de milliers de poussins de manchots survivent. Le chercheur se souvient de la campagne de 2016 et de l’hécatombe observée : « On était là sur place, on suivait l’événement toutes les deux heures, on “checkait” les manchots, les nids. On avait aussi des appareils électroniques pour mesurer les déplacements des parents. En fait, ce n’est pas comme une apocalypse qui vous tombe sur la tête. Mais toutes les deux heures, tu te dis : “Ah merde, encore un mort, ah merde, encore un nid abandonné.” Tu réalises la chose petit à petit. À la fin, il ne restait plus que deux poussins. » Une hécatombe de ce type est normalement rarissime. Pourtant, c’est la deuxième en deux ans.