«Une page se tourne pour moi, […] je vais me réinventer. » Au moment où il prononce cette phrase, au soir du second tour, à la fin d’un discours où il prend acte de sa défaite, Manuel Valls n’est déjà plus en direct à la télévision. Le vainqueur de la primaire de gauche, Benoît Hamon, a commencé le sien et toutes les chaînes ont basculé sur sa prise de parole. Volontaire ou pas – Benoît Hamon s’est excusé le soir-même –, l’incident est à l’image d’une primaire où le candidat Valls aura été bousculé, sans jamais trouver le ton juste dans sa communication, ni réussir à imposer ses idées.
L’ex-Premier ministre est pourtant lui-même expert en communication. Pendant la campagne de 2012, il fut directeur de la com de François Hollande, après avoir été chargé de la communication et de la presse au cabinet de Lionel Jospin à Matignon, de 1997 à 2002. Sa défaite nette (41,29 % des voix contre 58,71 % pour Benoît Hamon) survient à l’issue d’une campagne où il n’aura jamais réussi à endosser les habits de favori. Depuis le retrait de François Hollande, le 1er décembre dernier, la voie était pourtant ouverte à son Premier ministre. La gauche se cherchait un autre candidat dit « présidentiable ». Manuel Valls a essayé d’utiliser sa stature d’homme d’État, forgée au ministère de l’Intérieur, à partir de mai 2012, puis à Matignon depuis le printemps 2014, qui lui donnait, sur le papier, un avantage important sur ses adversaires, dans une période d’incertitude économique comme géopolitique. Mais jamais ses choix de communication n’ont su capitaliser sur cette image pour faire décoller sa campagne.
Cet échec est aussi celui des proches du candidat, qui l’accompagnent depuis des années, voire des décennies, au premier rang desquels son ami et communicant Stéphane Fouks, vice-président d’Havas Worldwide – comme un François Fillon prenant des conseils auprès de la communicante Anne Méaux depuis plus de trois ans (lire l’épisode 1, « Scène de déminage »). Les deux hommes se sont rencontrés à la fac de Tolbiac, au début des années 1980, avec le criminologue Alain Bauer, qui complète le trio. Par la suite, leur ascension s’effectue en parallèle, avec échange de réseaux et soutien permanent. Sa proximité avec Manuel Valls est constante, même s’il n’apparaît dans aucun organigramme. Pendant la primaire, l’homme a préféré la discrétion et ne s’est pas montré. Officiellement, depuis l’affaire Cahuzac, il a arrêté le conseil politique. Trop sensible… Lorsque Mediapart a révélé, à la fin de l’année 2012, que Jérôme Cahuzac, ministre délégué au Budget, possédait un compte en Suisse, Fouks gérait sa communication de crise. La stratégie de mensonge du ministre, avant de passer aux aveux, lui a été en partie imputée et a terni sa réputation. Mais, en réalité, le communicant mise sur Manuel Valls pour conquérir l’Élysée, depuis que son ancien poulain, Dominique Strauss-Kahn, n’a pu se présenter à la présidentielle de 2012. Un fiasco, comme Stéphane Fouks en a donc connu plusieurs au cours de sa carrière. Mais avec Valls, Fouks avait trouvé comment rebondir.
Lorsque Manuel Valls vit ses dernières heures place Beauvau, au début du mois d’avril 2014, en attendant sa nomination à Matignon, Stéphane Fouks était présent au ministère, comme l’a rapporté Le Monde à l’époque. Cet accès au cœur du pouvoir a sonné comme une revanche pour le communicant, écarté par François Hollande de la présidentielle de 2012, puis de l’Élysée. Après la campagne ratée de Lionel Jospin en 2002, dont Stéphane Fouks et Jacques Séguéla, les deux représentants d’Havas (alors appelée Euro-RSCG) sont conseillers en com, le patron du PS d’alors n’a plus voulu entendre parler de l’agence.
Stéphane Fouks sans l’oreille du Premier ministre et sans l’oreille, non plus, du candidat socialiste à la présidentielle, ce n’est plus tout à fait pareil.
Pour Stéphane Fouks, à la tête de la plus grosse agence de communication d’influence française, rien n’est plus précieux que ses relais politiques, qu’il peut vendre ensuite à ses nombreux clients du CAC 40 (LVMH, Orange, BNP…). C’est en partie grâce à ce carnet d’adresses très bien fourni qu’il s’est maintenu à la tête d’Havas après l’affaire Cahuzac, malgré des relations tendues avec son actionnaire, Vincent Bolloré, et son fils, Yannick Bolloré, PDG d’Havas depuis août 2013, et désormais seul maître à bord à la tête de l’agence. Sa proximité avec le locataire de Matignon lui était donc précieuse. « Stéphane Fouks sans l’oreille du Premier ministre et sans l’oreille, non plus, du candidat socialiste à la présidentielle, ce n’est plus tout à fait pareil. Je demande à voir où en seront ses affaires dans six mois », lâchait, juste avant le premier tour de la primaire de gauche, le dirigeant d’une agence concurrente, de vingt ans son cadet, prompt à programmer la fin d’une génération de « gourous » ayant eu la haute main sur la communication et l’influence ces vingt dernières années. Conseiller un présidentiable est au cœur de sa stratégie. En cas de victoire, avoir travaillé sur une campagne permet souvent de récupérer de juteux contrats publicitaires et de placer plus facilement des conseillers d’Havas dans les ministères (c’était le cas depuis 2012 à Bercy, à la Défense, à la Culture…), qui sont autant de relais pour exercer son influence. Après la défaite de Manuel Valls, cette stratégie est à l’arrêt.
Encore dans son rôle de Premier ministre, Manuel Valls a manqué de souffle et de préparation pour renouveler son offre politique et espérer convaincre. Dans son équipe, Harold Hauzy, formé par Stéphane Fouks, a eu la haute main sur sa communication pendant cette primaire. Toujours en arrière-plan de son mentor, le portable à portée de main pour guetter ses textos, il fait partie des fidèles de l’ex-Premier ministre. Il fut son conseiller en communication dans son fief de la mairie d’Évry puis à Beauvau et à Matignon. C’est lui qui a mis en musique la déclaration de candidature de Manuel Valls, le 5 décembre 2016, à l’hôtel de ville d’Évry. Et déjà, ça cafouille. Le candidat prend la parole dans la salle « où il s’est marié », trop longtemps – vingt minutes – entre une foule d’anonymes et un pupitre flanqué du slogan « Faire gagner tout ce qui nous rassemble ». Gagner, rassembler… Les intentions du candidat sont assez claires. Mais la combinaison de mots est absconse. Par la suite, Manuel Valls n’a cessé de marteler : « Je veux casser l’esprit de la défaite », « Je veux gagner », « Je veux être président de la République », « Je veux que la gauche reste crédible »… Que veut Manuel Valls pour le pays – et non pour lui ? A peine un mois plus tard, le slogan alambiqué est remplacé par une nouvelle mouture : « Une république forte, une France juste ». Qui rappelle, étrangement, celui de Ségolène Royal en 2007 : « Plus juste, la France sera plus forte ». Encore raté. Mais, cette fois, le slogan fera l’affaire puisque le premier tour est dans moins de trois semaines...
La campagne de Manuel Valls a aussi pris l’eau sur le fond. Sans idées nouvelles, l’ex-Premier ministre a oscillé entre défense de son gouvernement et nouvelles propositions maladroites. Pas si simple. Le reniement du 49.3 se joue en deux actes. Le premier a lieu mi-décembre, quand Manuel Valls propose de « supprimer purement et simplement » le 49.3… après y avoir eu recours six fois pour faire adopter le projet de loi Macron et la loi El Khomri. L’annonce manque cruellement de cohérence et donne raison à ses opposants à gauche. Le second intervient le 5 janvier sur le plateau de L’Émission politique, sur France 2. Manuel Valls déclare que l’usage du 49.3 lui a été « imposé » par les frondeurs. La tentative de se déresponsabiliser est maladroite et la formule, peu crédible. Elles sont très commentées pendant et après l’émission diffusée en prime time, dont il ne restera rien de plus.
Pendant que Benoît Hamon parvient à mettre le revenu universel au centre du débat, Manuel Valls recycle de vieilles recettes. Il propose de réinstaurer la défiscalisation des heures supplémentaires, supprimée par la gauche en 2012 pour relancer la création d’emplois. Manuel Valls renie donc une décision de son propre camp pour revenir à une proposition de… Nicolas Sarkozy en 2007. Sa campagne bafouille. Lors des débats télévisés, l’expérimenté Valls ne creuse pas l’écart. Sans son personnage volontiers martial forgé à Matignon, incarnant l’autorité, il ne parvient pas à convaincre. Sa stratégie pour celui d’entre-deux-tours laisse perplexe. Les jours qui précèdent, ses soutiens chargent Hamon qui devient le « candidat des Frères musulmans » ou serait « en résonance avec une frange islamo-gauchiste », selon le député Malek Boutih. Les accusations, soudaines et outrancières, jouent en faveur de son adversaire. Le soir du débat, l’ex-Premier ministre adopte a contrario un ton très apaisé, presque trop face à un Benoît Hamon désormais seul en tête, qu’il ne parviendra jamais à mettre en difficulté. À ce stade, la défaite de l’ancien Premier ministre semble quasi certaine.
Peut-on se renouveler avec les mêmes conseillers ? C’est une des questions auxquelles Manuel Valls devra répondre pour dessiner la suite de sa trajectoire politique. Son équipe de campagne était composée de fidèles trentenaires, comme Harold Hauzy ou Sébastien Gros, son chef de cabinet depuis la mairie d’Évry lui aussi, un temps passé par l’agence de communication TBWA. Mais ils étaient également plusieurs à avoir travaillé sur la campagne présidentielle de Lionel Jospin en 2002. Son directeur de campagne, Didier Guillaume, était l’adjoint de Jean Glavany, alors directeur de campagne de Lionel Jospin. Son conseiller politique, Yves Colmou, ce grand connaisseur de la carte électorale, était le conseiller en communication du Premier ministre Jospin en 2002 – quand Manuel Valls assurait la même fonction pour le candidat Jospin. Et Stéphane Fouks était donc, lui aussi, de la partie. Quinze ans plus tard, l’énumération donne à cet échec des airs de fin de cycle.