Cyril Castelliti est journaliste indépendant à Mayotte et aux Comores. Il vit sur une île
«Pour décrire la situation, je dirais qu’elle est ultra-angoissante et très floue. Ici, on a peur du coronavirus, mais ce n’est pas pour autant que cette crise supprime les autres peurs. À Mayotte, on a un seul hôpital pour 250 000 habitants officiellement, encore plus si l’on compte la population informelle [d’exilés illégaux]. En temps normal, cet hôpital est déjà saturé, mais en plus, nous vivons depuis des mois déjà une situation épidémique à cause de la dengue. C’était déjà un problème avant le confinement, j’ai pu voir à l’hôpital des gens défiler toute la nuit avec de fortes fièvres. Donc on sait que que ce n’est pas à l’hôpital qu’on sera sauvés du coronavirus.
Tout cela se passe sur une île où 10 000 à 15 000 jeunes vivent livrés à eux mêmes parce que leur famille a été expulsée mais qu’eux sont nés à Mayotte, ou alors se sont cachés. Ils vivent dans la « malavoune », la campagne reculée, ou dans des bidonvilles. Depuis quatre mois, ils sont à l’origine de beaucoup d’émeutes et de violences et la question qui préoccupait tout le monde avant le confinement, c’était plutôt ça. Il y a des routiers qui se font caillasser, un jeune est mort lapidé devant son lycée. Moi aussi je me suis fait caillasser la semaine dernière. On a donc un terrain hospitalier et social qui est une poudrière, et le confinement est arrivé là-dessus sans prendre en compte la réalité mahoraise. Ici, 55 % de la population vit dans des bidonvilles, 20 % n’a pas accès à l’eau potable, manque de savon… Dans ces conditions, imposer un confinement, c’est un peu de la science-fiction. Comment confiner des gens qui vivent dans des cases en tôle, où il fait une chaleur épouvantable ?
Clairement, les gens ont peur du coronavirus, ils ne prennent pas ça à la légère. Mais pour toutes ces raisons, on n’est pas du tout dans un confinement total aujourd’hui. On voit des contrôles dans les villes, à Mamoudzou, mais pas à la campagne où j’habite.