Mulhouse, envoyée spéciale
Les bancs sont gris comme un lundi 2 décembre. Les murs de la salle d’audience ont été peints en rouge sang. Drôle de choix pour un palais de justice. La famille élargie de Raphaël B., policier tué d’une balle dans le cœur à 31 ans, se serre sur les premiers rangs, autour de sa veuve. À l’arrière, silencieux, se sont assis quelques collègues du tireur. Il est policier lui aussi. Le tribunal correctionnel de Mulhouse juge Nicolas D., 36 ans, brigadier à la barbe soignée, pour homicide involontaire sur son collègue. Les deux hommes appartenaient au « groupe stups » de la sûreté départementale du Haut-Rhin. Leurs bureaux étaient voisins, ils s’entendaient bien et faisaient du sport ensemble le midi.
La présidente du tribunal, Christine Schlumberger, rappelle « les faits absolument dramatiques » survenus le 26 avril 2017 au premier étage de l’hôtel de police de Mulhouse. Au-dessus de la magistrate, un buste de Marianne impassible trône sur une étagère fixée au mur. L’accident est aussi simple à résumer que difficile à comprendre : ce jour-là, vers 15 h 30, Raphaël B. est entré dans le bureau de son collègue, sans doute pour utiliser l’imprimante. Nicolas D., qui manipulait au même moment son arme de service, lui a tiré une balle dans le thorax. Ni les fonctionnaires présents ni les pompiers n’ont pu le réanimer. Raphaël B. est déclaré mort trois quarts d’heure plus tard aux urgences.

À la barre, Nicolas D. écoute et acquiesce de la tête, les mains dans le dos. Il a toujours reconnu sa responsabilité et exprimé ses regrets, sans pouvoir expliquer ce qui s’est exactement passé, invoquant l’état de « sidération » qui l’a aussitôt saisi. Bien que les bureaux soient contigus et partagés, aucun autre fonctionnaire n’a assisté directement à la scène. Celui qui se trouvait dans la pièce voisine n’en a saisi qu’une partie. D’abord les mots de Nicolas D., à l’arrivée de Raphaël B. : « Fais gaffe, je suis chambré (une cartouche est engagée dans la chambre de l’arme, ndlr). » Puis la détonation. Ce témoin a ensuite vu Raphaël B. porter ses mains sur sa poitrine et dire « putain, Nico, t’es con », avant de s’effondrer. Leurs collègues accourent, essaient d’aider, éloignent Nicolas D. qui avait déjà rangé son arme.
Les débuts de l’enquête menée par l’IGPN (Inspection générale de la police nationale) laissent à désirer. « Hagard et absent », le tireur est conduit à l’hôpital par ses collègues du groupe stups, auditionnés par la suite comme témoins potentiels.