
Gabriels, Angels & Queens (Gabriels/WEA, 2023)
C’est la rançon du temps long : cette chronique hebdomadaire commence à parler d’artistes qui ont déjà traversé ses pages. C’est le cas du trio anglo-américain Gabriels, évoqué fin 2021 (lire l’épisode 114 de la saison 1 : « Gabriels et T. L. Barrett, le gospel ressuscité ») pour son magnifique quatre-titres Bloodline qui disait avant toute chose la volonté du groupe de prendre son temps pour trouver les bons équilibres dans sa soul moderniste aussi luxuriante que poignante. C’est la même stratégie à contrepied de l’immédiateté du streaming qu’ont poursuivie depuis Jacob Lusk, Ryan Hope et Ari Balouzian, pour déployer leur premier album dans une lenteur de film noir qui a même fini par être crispante. Angels & Queens est ainsi paru en deux temps : sept titres en septembre 2022, puis six nouveaux en juillet 2023 pour compléter le tableau. L’auditeur, lui, a adopté deux stratégies face à cette politique des petits pas : avaler chaque nouvelle chanson en attendant la suivante, ou patienter fièrement pour binger le tout d’un bloc. On ne vit pas dans la génération Netflix pour rien.
Au-delà de ces méandres commerciaux chargés, aussi, de créer une attente, Angels & Queens resplendit aujourd’hui d’un bloc et s’impose comme l’un des très beaux albums de cette année 2023. C’est un long récit musicalement très cohérent, entre soul feutrée et explosions de cordes sur un groove vocal qui doit autant au doo wop des années 1950 qu’au R’nB des années 1990. Surtout, c’est un disque qui se pose sans arrêt la question de l’équilibre. Le passé et le futur, le too much et le sobre, l’organique et le synthétique… C’est le maître-mot de toute l’existence de Gabriels depuis 2016, un groupe formé comme une récréation par deux autoproclamés rats de studio : le violoniste et arrangeur américain Ari Balouzian et le producteur électronique britannique devenu réalisateur de publicités Ryan Hope, qui ont rencontré la voix formée au gospel de Jacob Lusk quand celui-ci est venu enregistrer une piste vocale pour un spot de plus. Timide flamboyant, ce dernier promenait alors sa large tessiture (du baryton au falsetto) entre les studios de Los Angeles et la télévision (American Idol 10), sans parvenir à décoller ailleurs que dans les offices gospel du week-end.
Aucun des trois ne savait réellement quoi chercher dans leur rencontre, mais il leur est apparu tout de suite qu’il y avait bien quelque chose à trouver.