Lina, Fado Camões (Galileo MC, 2024)
Il fallait oser, et ça fait deux fois que la Portugaise Lina ose s’attaquer au patrimoine facilement conservateur du fado avec des enregistrements qui réécrivent sensiblement son présent. La jeune quadragénaire n’est pas seule dans ce mouvement, il y a Sara Correia, Ana Moura ou Pedro Mafama à ses côtés, qui infusent la musique de l’âme portugaise de rap ou de R’nB. Mais Lina a placé la barre sensiblement plus haut que toute cette génération en deux enregistrements : son déjà historique album sans titre de 2020 nourri par l’abstraction noire du producteur Raül Refree, puis ce nouveau disque, Fado Camões, qui entraîne sa musique sur des terres plus pop, tout en prolongeant son hommage transi à la reine du genre, Amália Rodrigues. Peu d’artistes ont osé faire évoluer le monde du fado d’une façon aussi consistante depuis la mort de cette dernière en 1999, jusqu’à ce que Lina surgisse de nulle part.
Car on ne l’a pas franchement vu venir, cette chanteuse apparue sous le nom de Carolina au milieu des années 2010, avec des chansons taillées pour les restaurants pour touristes de l’Alfama à Lisbonne, mais pas pour changer quoi que ce soit dans une journée. Lina Rodrigues était encore une jeune artiste qui cherchait son chemin après avoir déjà ouvert beaucoup de portes toute seule. Fille d’agriculteurs du nord-est du Portugal, elle a souvent raconté le choc primaire qui l’a amené à la musique : le jour où, à 15 ans à peine, elle a entendu la musique d’Amália Rodrigues qui passait en boucle à la radio le jour de son décès. Depuis ce point zéro, tout est une ligne plus ou moins droite : conservatoire, cours de chant lyrique, petits opéras et comédies musicales. Mais de là à passer au premier plan et se mettre pleinement dans les pas de l’idole d’un pays entier ? C’est cette hésitation trop apprêtée que disent ses deux premiers albums qui étaient une fausse piste.
C’est sa rencontre avec le producteur espagnol Raül Refree qui a dégagé le brouillard, lui qui fut aussi le détonateur du premier album de l’Espagnole Rosalía (lire l’épisode 127 de la saison 1, « Rosalía et Björk, cheffes d’œuvres ») et qui a également travaillé avec Rocío Márquez ou Niño de Elche à réveiller le flamenco (lire l’épisode 84 de la saison 1, « C. Tangana et Niño de Elche, trips espagnols »).