
Kassa Overall, Animals (Warp Records, 2023)
Les plateformes de streaming ont renvoyé aujourd’hui la mention des maisons de disques dans les confins à peine visibles de leur ergonomie. Il faut scroller encore et encore pour tomber sur cette indication inscrite en petit sous la liste des chansons. On est loin de la place centrale qu’occupait le logo d’un label derrière un CD ou un vinyle, qui est tout sauf une information secondaire dès qu’on s’intéresse un peu à la musique. Car un label, c’est un monde en soi, la définition d’un périmètre artistique et intellectuel. Une vision résumée en un ou quelques mots, qui ne disent pas tout sur la musique que l’on va écouter mais esquissent a minima une façon de voir le monde. Voir le nom du label londonien Warp Records collé sur le troisième album de l’Américain Kassa Overall dit ainsi beaucoup de ce qu’il cherche aujourd’hui. En l’occurrence, le droit d’être bizarre et pop en même temps, de faire du rap sans avoir l’air, de sortir un parfait disque de studio qui crache aussi ses tripes comme s’il arpentait les rues de sa ville de Seattle. C’est tout un programme avant même d’avoir entendu la moindre musique, car Warp a toujours caché quelques précieuses raretés rap dans son catalogue avant tout dédié à l’avant-garde électronique (Aphex Twin, LFO, Boards of Canada) : les aventures d’Antipop Consortium au début des années 2000, celles de Danny Brown récemment… Qui, justement, apparaît sur ce nouvel album de Kassa Overall comme un parrainage évident.
Puisqu’on est sur ces histoires de labels, l’album précédent de Kassa Overall était sorti chez Brownswood Recordings, autre maison londonienne fondée par le DJ et homme de radio Gilles Peterson. Un monde plus groovy, rond et relâché. Probablement trop pour Animals, qui est un disque souvent tranchant quand il ne libère pas certaines des plus belles chansons douces du moment. C’est un recommencement notable pour Kassa Overall, 40 ans aujourd’hui, qui chemine depuis une petite décennie de l’arrière-scène ombrageuse à la lumière qui lui va de mieux en mieux. On l’a ainsi vu apparaître avant tout comme batteur talentueux sur une myriade de disques, derrière Yoko Ono, Arto Lindsay ou la très active scène jazz de Chicago (lire l’épisode 19, « Jaimie Branch rebranche John Lurie »), et comme producteur avec Francis and the Lights