
Tinariwen, Amatssou (Wedge, 2023)
Depuis l’émergence internationale du collectif touareg Tinariwen à la toute fin des années 1990, on a toujours l’impression que chaque nouvel album reprend là où le précédent s’est refermé artificiellement. Plus qu’une succession d’enregistrements, c’est un récit continu qui s’est installé, un temps long où s’échangent des histoires sur fond de guitares mélancoliques qui pourraient ne jamais finir. Et pourtant, le monde des Tinariwen a violemment changé depuis leur album Amadjar de 2019 : l’insurrection jihadiste au Sahel s’est étendue du Sahara occidental jusqu’au Tchad à l’est, à travers la bande désertique du Sahara où plongent les racines du groupe. C’est pour cela que ce dixième album se nomme « Amatssou », « la peur » en tamasheq, celle du chaos qui envahit en particulier toute la région du Sud algérien et du Nord Mali, non loin de Tamanrasset qui reste le point de ralliement des membres de Tinariwen.
Pourtant, l’histoire même du groupe touareg se confond avec celle de ce coin d’Afrique si souvent entre deux crises. Fondé au début des années 1980 en Algérie, le groupe s’est pendant longtemps fondu dans le mouvement armé de la rébellion touareg, qui a opposé toute une génération aux militaires maliens et nigériens de 1990 à 1996. Mi-guitaristes, mi-soldats, Abdallah ag Alhousseini, Ibrahim ag Alhabib et Alhassan ag Touhami faisaient avant tout partie des « ishumar », les jeunes Touaregs sans emploi qui cherchaient dans les grandes villes de la région un autre avenir que celui de la guerre. Entrés au Mali les armes à la main malgré tout, ils ont aussi longtemps été financés par des mouvements séparatistes et notamment le Mouvement populaire de l’Azawad, avant de s’éloigner du front pour devenir pleinement musiciens et se faire les porte-voix de la culture nomade sahélienne à travers le monde. Et dans ce domaine, Tinariwen a fait plus que tous les chefs de guerre réunis, en devenant le pilier inexpugnable de toute une scène saute-frontières où l’on croise autant d’anciens