Juan Wauters, La Onda de Juan Pablo et Introducing Juan Pablo (Captured Tracks).
Cette année, Juan Wauters a décidé de publier trois albums, rien que ça. Deux sont déjà parus et il faut les voir comme un même ensemble qui avance en cercles concentriques : La Onda de Juan Pablo, puis Introducing Juan Pablo. En attendant le troisième, donc.
Musicien uruguayen, Juan Pablo Wauters est New-Yorkais avant tout depuis qu’il s’est installé dans le Queens, en 2002, pour rejoindre son père. Là, il a commencé la musique pour s’échapper un peu des boulots abrutissants qu’il a enchaînés dans des usines et divers ateliers, naviguant naturellement entre la culture hispanophone et l’American way of life, qui forment aujourd’hui les deux facettes de ses disques. Après un premier bout de carrière au sein de The Beets, trio rock capté dans la cuisine qui révélait déjà un vrai talent pour la mélodie instantanée à la Daniel Johnston, Wauters est ensuite parti en solo pour une poignée de disques de chansons folk en mouvement, enregistrés là où son travail d’acteur et de réalisateur très underground l’emmène.
En 2017, il est ainsi parti tourner un film à Buenos Aires, en Argentine, mais avec un studio tenant dans deux valises. De là, il a fait étape en Uruguay, au Mexique, au Pérou, au Chili et à Puerto Rico, enregistrant sur la route avec les moyens et les musiciens du bord, s’intéressant aux variations pop locales injectées de musiques plus traditionnelles, comme le candombe de Montevideo. C’est La Onda, un disque comme un carnet de voyage, dominé par Guapa et ses chœurs féminins qui ne détonneraient pas au générique d’un film avec Pierre Richard perdu quelque part au Pérou en 1978.
Introducing Juan Pablo élargit ce cercle pop qui ne s’intéressait qu’aux musiques sud-américaines et cherche l’inspiration dans les rues hispanophones de New York. Ce deuxième album est ainsi bien plus anglo-saxon dans son écriture, qui travaille plus systématiquement la structure couplet-refrain et chante bien souvent en anglais, même lorsqu’il reprend El Hombre de la Calle, un classique uruguayen signé Jaime Roos qui gagne au passage un nouveau tempo ralenti.
Faite de peu de moyens, sans prétention mais bricolée avec l’art consommé de l’artisan talentueux, la musique de Juan Wauters atteint en 2019 une forme de pop immédiate qui évoque directement l’aventure dispersée de groupes baladeurs réunis sous une étiquette qui ne voulait rien dire : « anti-folk ».
Ce mouvement par défaut a pris racine sous ce nom dans le New York des années 1980, quand des groupes revendiquant de jouer une musique acoustique dépouillée et facilement protestataire se sont rassemblés naturellement dans quelques bars et festivals. Musicalement, les parrains seraient les Modern Lovers de Jonathan Richman autant que le solitaire Daniel Johnston, basé plus au sud, au Texas. Plus tard, ce furent Ani DiFranco, Calvin Johnson et le label K Records, suivis par une nouvelle génération emmenée dans les années 2000 par Kimya Dawson, Adam Green et Jeffrey Lewis, ainsi que Julie Doiron côté canadien. Toujours, il s’agissait de revendiquer des moyens d’enregistrement rudimentaires, le mouvement permanent et des concerts hors circuit – bars, appartements, parcs, partout où une guitare fatiguée peut résonner pour le public.
Dans le même dénuement qui exploitait aussi le nouveau rapport direct aux auditeurs inventé par le réseau social MySpace, qui permettait de diffuser ses chansons à l’envi, le mouvement a rapidement traversé l’Atlantique direction Londres et Brighton, puis la France. On a ainsi vu, dans ces années 2000 où tout était à reconstruire pour le monde de la musique, des artistes comme Lispector ou les frères Herman Düne, voire le plus isolé chanteur manceau Jean-Luc Le Ténia, se produire partout et tout le temps avec des chansons franchement attachantes.
Il reste de ces années des dizaines de CD copiés à la maison et une façon de jouer sans se demander si le résultat serait formellement parfait. Rien ne l’était, mais l’envie de jouer faisait le reste. C’est la même énergie qui guide aujourd’hui les pas et les chansons de Juan Wauters, en Amérique du Sud ou à New York. Parce que ce modus operandi est tout simplement le plus vieux que la musique connaît depuis qu’elle peut s’enregistrer facilement.