De Marseille
Il y a Gilles, ex-chauffeur routier, Isabelle, assistante de direction, Marie, dermatologue à la retraite, Sylvie, femme de ménage, et Louise, 60 ans, mère au foyer, qui raconte sa première fois : « J’ai voté un peu avec le mal au cœur. » Mais elle s’est dit « tant pis hein, tu te lances puis tu verras bien ». Depuis, Louise voit : « Ceux qui disent qu’on est fascistes, c’est que c’est eux qui le sont, c’est pas nous, hein ! » Pour Éric, 47 ans, artisan, voter FN permet de « moins ronchonner » dans son coin : « C’est un peu comme un psy. Voyez, ici, tout le monde pense comme moi, je me dis : “Je suis pas fou !” » Avant, avec sa femme, dans leur cuisine, ils répétaient : « Ça, ça va pas ! Ça, ça va pas ! » Avec le FN, « tout ce qu’on dit, au lieu de le dire à la maison, on construit […], on n’est plus dans la revendication ». Tous ces personnages peuplent le livre riche et décapant que l’universitaire Christèle Marchand-Lagier consacre aux électeurs du FN, dans un exercice de « sociologie localisée ».
La chercheuse ne dégage pas une vision globale ; au contraire, elle scrute le local, ayant interrogé des électeurs depuis 1998 en Vaucluse et dans les Bouches-du-Rhône. Acquis au poujadisme dès les années 1950 – Poujade y réalisa ses meilleurs scores –, le Vaucluse est aujourd’hui devenu terre bénie pour le Front national, où il tend à prendre la place d’une droite autrefois toute puissante mais dont les caciques ont très mal géré le passage de relais. Christèle Marchand-Lagier a réalisé ici quatre vagues d’enquête jusque 2014, portant sur un échantillon de 60 personnes – dont 33 femmes – suivies sur quinze ans pour certaines, avec pour seul critère d’avoir voté FN au moins une fois. Pour les choisir, elle n’a pas appliqué les critères habituels de représentativité en sciences sociales : elle s’est appuyée sur un de ses voisins, électeur frontiste, qui lui en a présenté d’autres, etc. Au bout de la méthode, guère de certitudes : elle ne peut tracer un profil type et semble même perplexe. « Les électorats FN ne se réduisent pas aux anciens pétainistes, ni aux partisans de l’Algérie française, ni aux électeurs d’extrême droite, ni aux racistes », écrit la chercheuse à l’université d’Avignon. Difficile, même, de déterminer où se situe politiquement ce qu’elle qualifie de